Compte-rendu Webinaire « Gestion des crises sanitaires en Asie »

Le bureau des jeunes chercheur.e.s du GIS Asie a organisé un webinaire sur la gestion des crises sanitaires en Asie qui s’est tenu le 22 avril 2020. Une soixantaine de participants ont répondu présents. L’objectif de cet événement était double. D’une part, il s’agissait de prendre de la distance dans le contexte anxiogène actuel en apportant une perspective historique et comparative aux questions de la santé publique en Asie. D’autre part, il semblait important de réunir des chercheur.e.s travaillant sur des pays différents de l’Asie pour maintenir des échanges collectifs dans ces temps d’isolement et de distanciation sociale. Sur quelles structures de soin, sur quel modèle de gestion sanitaire s’est construite les réponses chinoise et japonaise au Covid-19 ? Questionnant l’image diffusée par les médias européens, y a-t-il au Japon et en Chine une réelle culture du masque ? Dans quelle mesure les enjeux de santé publique peuvent devenir des outils diplomatiques ? Telles sont les questions qui ont été examinées par Justine Rochot et Ken Daimaru.


Justine Rochot, sociologue associée au CECMC et au CEFC (Hong Kong), a examiné les particularités de la gestion du Covid-19 en Chine, en combinant les démarches historiques et ethnographiques. Elle a montré sur quelles structures institutionnelles et à partir de quelles représentations la réponse chinoise à l’épidémie a été élaborée et mise en oeuvre. L’une des premières épidémies marquant la Chine moderne était la peste pulmonaire mandchoue (1910-1911) qui fait cinquante mille morts. Après un siècle d’humiliations imposées par l’Occident, c’est durant cette période que la Chine s’est affichée sur la scène internationale et a commencé à associer la santé à une forme de modernité et de fierté nationale. C’est aussi à cette époque que l’on a commencé à utiliser pour la première fois des masques médicaux en Chine. Quittant la fin de la période impériale, la deuxième partie de l’intervention de Justine Rochot a eu pour objet la gestion des épidémies dans le contexte de la guerre froide. En 1952, le gouvernement de Mao Zedong a mis en place une grande campagne intitulée « Campagne Patriotique pour la Santé ». Ce nouvel intérêt accordé à la santé publique est apparu dans le contexte d’une suspicion d’attaque biologique de la part des États-Unis. Lutter contre les épidémies est devenu un devoir patriotique. La santé publique et la protection de la nation ont alors été perçues comme consubstantielles. Les études historiques sur le sujet font mention des aspects positifs de la « Campagne Patriotique pour la Santé » : la chute de la mortalité, le doublement de l’espérance de vie entre 1949 et 1976, le contrôle du choléra et de la peste. Cependant les effets néfastes sont trop souvent occultés. Par exemple, la lutte contre les « quatre nuisibles » (les mouches, les rats, les moustiques et les moineaux) a engendré un déséquilibre écologique qui a aggravé la grande famine pendant la Révolution Culturelle (1958-1961). La période maoïste a aussi marqué le début d’une nouvelle ère géopolitique chinoise. De 1963 à 1989, la République populaire de Chine a envoyé des équipes médicales dans de nombreux pays d’Afrique. Cette force de projection sanitaire internationale a joué un rôle important dans l’admission de la Chine par l’Organisation des Nations Unies en 1971. Proposé comme une alternative aux programmes américains ou soviétiques, l’OMS a loué le système chinois qui inspirait à ce moment-là le « Programme de Santé pour Tous ». À la mort de Mao Zedong (1976), un mouvement de décentralisation et de privatisation des institutions sanitaires a mis en danger un système qui permettait un suivi médical de proximité. Les dépenses de l’État dans le domaine de la santé ont diminué progressivement pour ne représenter en 2008 qu’un pour cent du budget national. À partir des années 1980, les services pour prévenir les épidémies sont payants et se concentrent sur des activités lucratives telles que l’inspection sanitaire d’usines ou de restaurants. Les mesures de privatisation engendrent un manque de confiance croissant de la population envers les structures médicales. Ce système de santé inégalitaire a entraîné une individualisation du rapport à la santé qui se traduit, par exemple, par une augmentation de la consommation de compléments alimentaires. Les hôpitaux sont considérés comme des « clubs pour les riches » et des scandales de corruptions entachent les organismes paraétatiques comme la Croix Rouge chinoise. La méfiance généralisée de la population envers le système de santé se concrétise par une augmentation des violences envers les médecins (医闹 yinao). En 2009, la grippe A (H1N1) révèle les défauts d’un système médical inégalitaire et sousfinancé. La Chine a lancé un système de traçabilité des maladies et de gestion des pandémies suite à la grippe H1N1 avec des Centres de Contrôle des Maladies dans toutes les provinces. Tout comme la bureaucratie chinoise, ces centres font l’objet de critiques. Notamment pour leur manque de transparence. Finalement, les mesures de prévention individuelles telles que le recours massif au masque durant l’épidémie du Covid-19 sont révélatrices d’une méfiance quant à la capacité des institutions à protéger les individus des épidémies. Rappelons-nous qu’au début de l’épidémie du Covid-19, l’État ne prenait pas en charge financièrement les dépenses des malades de l’épidémie.

Les résultats de l’enquête de Justine Rochot relativisent grandement une déclaration de l’OMS selon laquelle la Chine disposerait d’un système de santé robuste qui aurait prouvé son efficacité dans sa rencontre avec le virus.


Ken Daimaru, ATER à l’Université d’Aix-Marseille (IrAsia-UMR 7306), nous a ensuite fait part de données sur l’usage de la frontière au Japon durant l’épidémie du Covid-19. Au Japon, c’est au milieu du XIXe siècle que la gestion des épidémies a pris une acuité nouvelle. Dans un contexte de mondialisation des échanges, le nouveau gouvernement confronté à une circulation accrue des virus a tenté de réglementer les initiatives locales existantes en matière de santé publique. La cinquième pandémie de choléra (1881-1896), puis la troisième pandémie de peste (1890-1920) débouchent sur la première « Loi pour la prévention des épidémies » (1897) qui a donné du pouvoir aux communautés de quartier en matière de surveillance sanitaire. De nombreuses recherches sur les maladies infectieuses dans les colonies ont contribué au fondement de la médecine coloniale japonaise. À partir des années 1920, alors que la médecine japonaise a réalisé des progrès majeurs contre les maladies infectieuses aiguës (choléra ou peste), la rapidité de l’industrialisation, de l’urbanisation et du développement militaire du Japon créé des conditions qui ont favorisé la propagation des maladies infectieuses chroniques. Selon le rapport du ministère de l’Intérieur de 1922, la pandémie de grippe espagnole avait touché près de 24 millions de personnes et causé près de 390 000 décès. Les trois mesures jugées utiles pour répondre à cette situation étaient le port du masque, le gargarisme et l’inoculation. À la fin de l’Empire colonial japonais, les frontières du Japon ont été drastiquement modifiées. Dans le Japon occupé (1945-1952), les villes japonaises ont été soumises à des pulvérisations d’un insecticide (le DDT) ; des produits extraordinairement efficaces contre la plupart des insectes. À partir de 1948, une loi prévoyait l’obligation de se soumettre à une vaccination pour se protéger des maladies infectieuses. Grâce aux médicaments antituberculeux et aux antibiotiques, les décès dus à ces maladies ont continué à diminuer régulièrement. En 1960, les maladies liées au mode de vie (maladies vasculaires cérébrales, cancer, maladies cardiaques) sont devienues les principales causes de décès. Dans le contexte de la transition épidémiologique, les domaines de recherche associés à la médecine tropicale ont été réduits. C’est précisément au même moment que les épidémiologistes japonais ont été mobilisés par le gouvernement pour étendre la présence japonaise dans les pays en voie de développement. Au cours des années 1960, la Société de recherche en médecine tropicale a développé une campagne de lutte contre les maladies tropicales dans certains pays d’Asie et d’Afrique. Finalement, c’est à partir des années 1970 que le Japon a réaffirmé sa présence en matière de santé publique internationale. En 1998, le gouvernement a aboli la « Loi pour la prévention des épidémies » de 1897 et institué la nouvelle « Loi pour la prévention des maladies infectieuse » qui devait être révisée de nombreuses fois. Le rôle de l’État est renforcé, notamment depuis l’épidémie du SRAS en 2003 et, de manière plus récente, celle du Covid-19. Confrontés à la pandémie actuelle, les pays asiatiques adoptent des comportements variés. Au Japon, si les rassemblements sont interdits et les lieux publics fermés, rien n’est comparable avec les mesures françaises de confinement. La poursuite de la vie sociale et économique reste la priorité pour le gouvernement japonais.


Ces deux exposés font converger plusieurs questions. Ils invitent d’abord à analyser les mutations historiques du risque sanitaire au XXe et XXIe siècle sous le prisme des questions géopolitiques. Ensuite, un sujet qui n’a pas été approfondi est celui de la terminologie employée pour parler de la pandémie de Covid-19. Rappelons qu’une crise est par définition transitoire, elle n’est pas amenée à durer. Le choix des mots employés est un paramètre déterminant dans la formation de l’opinion publique. N’est-il pas symptomatique de notre époque que d’employer de manière excessive le terme de « crise » ? L’utilisation d’une terminologie inappropriée ne renforcet-elle pas le sentiment d’être confronté à une crise généralisée? Finalement, les incertitudes liées à des questions de santé publique participent-elles à un renforcement de l’autoritarisme politique ? Ces questions méritent d’être examinées avec attention.


Pour clore la séance, Ken Daimaru a évoqué l’initiative de l’Institut français de recherche sur le Japon à la Maison franco-japonaise (UMIFRE 19 MEAE-CNRS) Informations Covid-19 Japon qui met à disposition des chercheurs une documentation japonaise concernant la propagation du Covid-19. Béatrice Jaluzot, directrice de l’Institut d’Asie orientale (UMR 5062, Lyon), a présenté le projet Asie Orientale et Coronavirus dédié au Covid-19 en Asie et à la diffusion de publications qui analysent les réponses à la crise dans les sociétés d’Extrême-Orient. Par la suite, Simeng Wang, chargée de recherche au CNRS et membre du Cermes3, a exposé les enjeux et les défis de son projet Migrations chinoises de France face au Covid-19 : Émergence de nouvelles formes de solidarité en temps de crise retenu par l’appel Flash Covid-19 de l’ANR.

L’équipe du Journal du CNRS réalise des interviews à propos de l’épidémie afin de relayer et diffuser les regards des chercheurs de différentes disciplines dans sa rubrique Covid-19 : la parole à la science. La Vie des Idées rassemble quant à elle un ensemble de textes sur les épidémies qui explorent les multiples facettes de la contribution des sciences sociales Les visages de la pandémie.

Jeunes chercheur.e.s
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File d’attente à l’entrée d’une pharmacie de Yinchuan, capitale de la région du Ningxia
Campus Condorcet, bât. Recherche Sud, 5, cours des humanités