Ecrire sur le Viêt Nam contemporain : Histoire et espace (s) d'un Etat-nation

La recherche historique sur le Viêt Nam est longtemps restée captive d'un postulat : l'homogénéité de la nation vietnamienne et la continuité de son histoire. Les études vietnamiennes des années 1960-80 ont souvent moins visées à comprendre qu'à démontrer. Depuis lors, le regard sur le Viêt Nam se recomplexifie. Il s'agit désormais de fournir une vision du Viêt Nam depuis 1945 en allant au-delà des simples oppositions entre les 'vainqueurs / communistes' et les 'vaincus / non-communistes' à l'intérieur ou une analyse de l'extérieur qui demeure limitée par les contours de la 'guerre d'Indochine' et de la 'guerre du Viêt Nam'.
Un regard de l'intérieur permet de saisir d'autant mieux les liens sociaux et les rapports d'appartenances vécus par les acteurs internes (État, groupes, individus) à travers l'inscription dans un espace culturel. Ma recherche sur la figure du «héros nouveau » (Héros et Révolution au Viêt Nam, L'Harmattan, 2001 préfacé par Yves Chevrier) vise à comprendre à travers l'étude des principes d'un phénomène de mobilisation des masses populaires commun à l'ensemble du bloc communiste, les représentations collectives qui lui furent liées, le profil d'une nouvelle élite et l'évolution de ces réalités dans le temps. La construction, dans le cadre du Viêt Nam, d'une histoire du politique suggère une prise en compte de ses articulations spatiales. L'État nation vietnamien est tout le contraire d'une création spontanée de la révolution et même de la résistance nationale. L'unité du peuple, soudé par l'une et (ou) par l'autre, fut la résultante des processus de construction, en même temps qu'un mythe qui contribua puissamment à cette construction. De la guérilla initiale au nord à la conquête du sud, jusqu'aux recompositions qu'entraînent aujourd'hui les réformes et l'ouverture économique, l'espace vietnamien ne cesse d'être travaillé par le politique - entendu ici au sens large, puisqu'il faut y inclure tant la guerre 'révolutionnaire' que les aléas de la mutation socialiste - et de travailler le politique. Empiriquement comme problématiquement, un travail sur les territoires s'ancre dans des 'terrains' : enquêtes géographiques, exploration des archives locales, enquêtes auprès des acteurs de l'État et de la société. L'objectif n'est pas de produire une marqueterie d'histoires locales. Il s'agit, à partir d'histoires localisées, d'analyser la constitution et les transformations d'un espace politique national fortement construit, en montrant que l'un des ressorts essentiels de la construction étatique moderne, et de son articulation à la longue durée, aura été la transformation d'une gouvernementalité dont les techniques de pouvoir opèrent au niveau des articulations territoriales. Cette construction politique est située dans son environnement régional à la fois pour comparer sa morphologie à celle de constructions voisines (en Chine, par exemple), et pour étudier les connexions réelles : circulation des modèles révolutionnaires à l'époque 'héroïque', recompositions économiques et identitaires de l'espace régional aujourd'hui. Il s'agit en effet de contextualiser une approche du Viêt Nam afin de revisiter la question du communisme et de ses rapports avec la société d'Asie, en mettant l'accent sur la constitution de territoires en tant qu'espaces géographiques, institutionnels et symboliques, en même temps qu'arènes locales où s'effectuent les interactions entre le pouvoir, le projet du pouvoir, et les acteurs sociaux. L'historien du Viêt Nam doit se rendre à une évidence : l'objet de sa recherche est un construit, dont les éléments essentiels sont à chercher hors des frontières nationales aussi bien qu'en leur intérieur. Au fil des âges, ces interactions entre facteurs « indigènes » et exogènes auxquels correspondaient des acteurs appartenant à différents mondes historiques, ainsi que des passeurs qui reliaient ces mondes, ont défini un espace national. Écrire sur l'État-nation communiste conduit en sorte à étudier les « marges » de la construction politique et sociale de l'État (la RDVN, puis la RSVN depuis 1976), en même temps que la reconstruction de son passé au fil des époques, véritable double culturel et national de son idéologie internationaliste et moderniste.

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novembre 2004
Benoît de Tréglodé
Chercheur associé au Centre Asie, IFRI