Le rôle des hybrides culturels dans l'ouverture de la Chine


Durant la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques,
2008 joueurs de tambours ont accueilli les visiteurs
(© 2008 / Tim Hipps, U.S. Army, versée dans le domaine public)

«Mon mari est français; j'ai vécu aux États-Unis; ma famille est chinoise et vit encore en Chine; je travaille en France avec des Européens, des Chinois et des Américains. Je vis dans un grand tourbillon multiculturel. Comment puis-je trouver mon centre de gravité, éviter d'être absorbée par les autres et être capable d'apporter ma propre contribution ?»

C'est une question centrale pour Qinghua Xu-Pionchon, qui s'est toujours engagée pour prendre son destin en main. Cette avocate du barreau de New York, qui a rajouté à son nom de famille d'origine celui de son mari, avait été gréviste de la faim lors de la révolte des étudiants chinois en 1989. Partie peu après aux États-Unis pour y faire ses études, elle en obtenait la nationalité avant de s'installer en France en 2002.

La fonction de Qinghua Xu-Pionchon à la tête de la China Business Unit d' EY la place aux avant-postes de la globalisation. Elle réfléchit à son cheminement : «Vous tâtonnez dans le noir, vous tapant ici et là, et, un jour, le ciel s'éclaircit. C'est un processus qui a un sens. Je veux relier les gens et les cultures, faire et défaire des deals pas seulement en affaires; je cherche à connecter les personnes, à enrichir leurs vies, à avoir un impact.»

Si naviguer entre deux cultures est un périple identitaire unique à chacun, certains traits communs émergent, dessinant la figure de «l'hybride culturel»: une personne engagée dans un processus de transformation, qui se déplace avec familiarité, et souvent aisance, entre deux cultures. Ce faisant, elle reste authentiquement elle-même et revendique - à divers degrés - sa complexité culturelle comme un élément clé de son identité.

Dans sa rencontre avec le monde, la Chine est devenue un terrain privilégié de cette hybridité culturelle que la globalisation engendre, spécialement dans les champs des affaires et de l'éducation. Les chiffres en témoignent:

  • 10 millions de Chinois continentaux vivent à l'étranger;
  • 650 000 étrangers ont un permis de résidence en Chine;
  • plus de 3 millions de Chinois continentaux ont étudié à l'étranger depuis 1978 dont la moitié sont retournés en Chine;
  • 375 000 étrangers, venus de 203 pays, étudient en Chine continentale.

Personnalités célèbres ou contremaîtres anonymes, Chinois continentaux ou issus de la diaspora et travaillant en Chine continentale, étrangers du monde entier travaillant ou étudiant en Chine, ils peuvent dans certains cas - une minorité - être des hybrides biologiques, nés de couples mixtes mais le plus souvent ils se sont hybridisés à travers le travail ou les études.

A la fois produits et réflexions en miroir des sociétés dans lesquelles ils se développent, ils offrent, au-delà de leurs histoires individuelles, un prisme à travers lequel observer les évolutions des sociétés qui sont en profonde transformation.


Le Musée national de Chine sur la place Tian'anmen offre
une double narration de la rencontre entre la Chine et le reste du monde
(© 2015 / A. Garrigue)

Une approche dynamique et fractale

Comprendre l'hybridité culturelle demande une double approche. L'approche fractale permet d'observer la relation entre l'individu et le tout, en zoomant sur les détails de la vie des personnes, puis en reculant pour mieux appréhender le contexte. L'approche dynamique offre un modèle en trois dimensions. Sur la ligne du temps, les itinéraires des personnes dessinent des spirales oscillant entre deux axes, celui de la culture A et celui de la culture B. Aux prises avec leur propre complexité et celle de leur environnement, tiraillées entre leurs multiples allégeances et sentiments d'appartenance, les personnes évoluent. Certaines embrassent cette dynamique qui les stimule. D'autres s'y perdent et s'engouffrent dans un tourbillon dont Qinghua Xu Pionchon a su s'échapper en plaçant l'hybridité culturelle au coeur de son identité. Comme elle, de nombreux hybrides ont un impact collectif tant sur la société chinoise que sur le rôle de la Chine dans la globalisation.

Hybridation et monde des affaires

Le monde des affaires est un laboratoire immense pour observer de près les effets de la rencontre entre la Chine et le reste du monde.

Quand la Chine a ouvert son économie au monde avec les réformes de Deng Xiaoping en 1979, les hybrides culturels, étaient peu nombreux mais ils ont fortement contribué à transformer la Chine. Leur nombre a cru avec le développement du pays, en même temps que se fertilisait le terreau de l'hybridité culturelle alors que les entreprises étrangères sur le sol chinois et les compagnies chinoises qui vont à l'étranger apprenaient à gérer la diversité culturelle de leurs employés.

Chinois et étrangers sont pris dans les tourbillons de la globalisation qui conduit et que conduit la Chine. Les entreprises peuvent encourager les transformations des personnes ou chercher à les éviter. Le monde des affaires crée des hybrides culturels et les hybrides culturels créent des affaires.


Une foire pour s'informer :
plus de 3 millions de Chinois continentaux sont partis étudier à l'étranger depuis 1978
(© 2015 / A. Garrigue)

Écoles et universités, terreaux de l'hybridité

Beaucoup n'apprennent pas l'hybridité au travail mais tôt à l'école. Les échanges d'étudiants entre la Chine et le reste du monde se sont démultipliés. Dans cet autre terreau de l'hybridité, quatre forces interviennent:

  • les parents soucieux d'aider leurs enfants à mieux affronter un monde du travail global et compétitif ;
  • les enfants qui à travers leur exposition à d'autres langues et cultures reprogramment littéralement leurs cerveaux ;
  • les institutions éducatives prises entre internationalisation et crainte de perdre leur identité dans la transmission de la connaissance et des valeurs ;
  • la société aux prises avec les transformations que la globalisation impose.
Quel avenir inventent-ils ?

Les hybrides culturels sont particulièrement engagés dans une dynamique créative. En se construisant, ils embrassent leur hybridité culturelle et peuvent jouer de façon innovante le rôle de ponts culturels. Ils deviennent des pionniers dans de nombreux secteurs, de la recherche scientifique appliquée au monde du luxe et de la mode. Dans les sciences humaines ou l'innovation socio-politique, ils sont de moins en moins bien acceptés.

Les hybrides culturels cherchent leur place en Chine

Une visite au Musée national de Chine sur la place Tian'anmen offre une double narration. L'exposition «La Chine antique» reconnaît la fécondité des échanges entre la Chine et le reste du monde. L'exposition «La Voie du relèvement de la Chine » promeut une identité chinoise basée sur le mythe d'une nation Han rassemblée pour affronter l'oppresseur occidental et japonais sous la direction du Parti communiste.

Dans cette vitrine très publique, le discours chinois officiel ne semble ni reconnaître, ni même donner un nom à l'hybridité culturelle. Il reflète les contradictions entre deux images très différentes que la Chine a données d'elle-même récemment.

Durant la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques, 2008 joueurs de tambours scandaient le slogan confucéen affiché autour du stade du Nid d'oiseau: «N'est-il pas glorieux de recevoir des amis qui viennent de loin? » (有朋自远访来, 不亦乐乎). Mais depuis 2013, le ton a changé. Le «document 9» du Parti communiste, a identifié sept “périls” politiques dont celui des « valeurs universelles ». Il appelle ses membres à résister aux « infiltrations » des idées venues de l'extérieur. L'hybridité culturelle ne fait pas partie du «rêve chinois» de l'administration de Xi Jinping.

Les raisons ne sont pas seulement politiques. Il est difficile de traduire en chinois le terme d'hybridité culturelle et pour Huo Datong, un psychanalyste de Chengdu, «de la même manière que dans la cure analytique, la personne se libère et résout ses problèmes à travers les mots, une société a besoin d'être capable de mettre en mot les choses et de trouver les mots pour se regarder ».

La Chine comme un miroir grossissant

La Chine est aussi une gigantesque loupe qui permet d'observer le phénomène universel de l'hybridité culturelle, qui est au coeur de notre monde contemporain globalisé. Un phénomène difficile à prendre à bras le corps et qui crée des tensions contradictoires générant de l'anxiété: chez les personnes, un sens d'aliénation et dans les groupes le renforcement des cercles d'appartenance et la tentation de l'exclusion. L'hybridité peut terroriser les individus et générer du terrorisme dans les sociétés.

L'hybridité culturelle transforme l'identité et implique des modifications du cerveau humain pour mieux gérer la complexité dont elle naît. Collectivement, elle peut nous permettre de mieux co-créer la modernité.

En Chine, comme ailleurs, les hybrides culturels sont une avant-garde : ils font briller une nouvelle lumière, cette lumière que Qinghua Xu Pionchon a recherchée si longtemps et qu'elle incarne aujourd'hui.

Édith Coron est coach spécialiste en leadership global et en interculturel.
Elle est basée en Chine depuis 2006.
Antérieurement, lors d'une carrière de vingt ans de correspondante à l'étranger,
elle a vécu et travaillé en Afrique du Nord et de l‘Ouest, en Grande-Bretagne,
aux États-Unis, en Amérique latine, en Israël, en Russie et en France.
Son dernier livre, co-écrit avec Anne Garrigue,
Les nouveaux éclaireurs de la Chine. Hybridité culturelle et globalisation
a été publié en octobre 2015 aux Belles Lettres- Manitoba.
Elle est l'auteur d'un autre ouvrage:
Le dernier exode. Les juifs soviétiques en Israël: rencontre et désillusion,
Paris, Éditions Francois Bourin, 1993, Oslo, Forlaget Exodus, Oslo 1993.

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décembre 2015
Édith Coron
Coach spécialiste en leadership global et en interculturel