Lieux de la loi en Chine impériale (Les)

Frédéric Constant
Punir par l’espace: la peine d’exil dans la Chine impériale

L’exil était fondé en Chine sur des représentations de l’espace politique héritées de l’antiquité au terme desquelles le territoire était constitué de zones concentriques s’éloignant progressivement du centre de la civilisation figuré par le domaine royal. Les dynasties suivantes furent confrontées à la nécessité de retranscrire cet espace virtuel dans la réalité d’un territoire politique qui avait évolué depuis l’unification impériale. Les Qing tentèrent les premiers de prendre des mesures en vue d’établir une géographie précise des lieux d’exil. À travers la cartographie de ces lieux d’exil, nous souhaitons mettre en évidence les principes aux termes desquels le territoire impérial devînt un espace pénal de relégation des criminels.

Eric Schluessel
La Loi et la
loi’: deux genres d’espace juridique dans la Chine des Qing

Cet article expose la conceptualisation et la mise en œuvre d’un nouvel imaginaire juridique et géographique dans la Chine du 19esiècle. Dans la première moitié du 19e siècle, des membres de l’école de pensée dite des «sciences de l’État» (jingshi) adopta une conception de la «loi» qui mettait en opposition le droit codifié et ce qu’ils concevaient comme des normes socio-morales naturelles. Cette dichotomie expliquait selon eux la contraction géographique de la société chinoise, l’émergence des dynasties d’Asie Centrale, et la possibilité d’une nouvelle expansion chinoise. La guerre des Taiping offrit l’occasion à des membres de ce groupe de mettre ces idées en pratique en suspendant stratégiquement le droit impérial en faveur d’un activisme administratif de manière à faire avancer leur idéal de relations sociales. À partir des années 1870, ce groupe travailla à transformer le territoire du Xinjiang d’Asie centrale en province de l’empire. Ce procès fait apparaître les contradictions dans la conception que l’école des «sciences de l’État» se faisait du droit.

E. John Gregory
Procédure criminelle militarisée contre procédure criminelle de routine en fonction du temps et de l’espace

Cet essai décrit la procédure militarisée (yi junfa congshi) sous les dynasties Ming (1368-1644) et Qing (1644-1912) et sa relation avec les exécutions sommaires (ou quasi-sommaires) sous l’étendard impérial (gongqing wangming) au dix-huitième siècle. Il montre que sous ces dynasties, des jugements militarisés de nature sommaire, essentiellement, se sont produits le long d’un gradient spatio-temporel en fonction de la proximité et l’intensité des opérations militaires actives. Il démontre aussi que, jusqu’au dix-huitième siècle, la justice militarisée répondait à un paradigme différent de la procédure de routine (zhuanshen, heshen, qingzhi) associée au code des Qing (DaQing Lüli). Lorsque un acte violant la norme se produisait au plus près du champ de bataille, et au cours de celle-ci, il était d’autant plus probable que le délinquant serait sommairement jugé selon la procédure militarisée. Les exécutions sommaires sous l’étendard impérial développées à partir de la pratique de cette procédure sont un phénomène essentiellement du dix-huitième siècle. L’article s’appuie sur des intellectuels de la période Ming-Qing, comme Wang Yangming, ainsi que sur des cas pénaux afin distinguer les deux paradigmes différents, la procédure militarisée d’une part, et la procédure de routine de l’autre. Il démontre le changement au fil du temps dans la relation entre l’adjudication militarisée, l’adjudication pénale de routine, et le gradient des opérations militaires.

Zhang Ni
Entre «loi des Miao» et loi sur les Miao: Le cas du trafic d’êtres humains dans le Guizhou au 18ème siècle

Cette étude considère essentiellement le cas des Miao de la province du Guizhou en examinant deux aspectsde la conquête des territoires des Miao par les mandchous au 18ème siècle. Le premier concerne le statut des «Miaoli» ou des lois sur les Miao» au sein de l’architecture d’ensemble des lois éditées par l’Etat mandchou pour assurer le contrôle de ces populations allogènes, soit une tension entre la nécessaire reconnaissance des pratiques indigènes et la volonté de les réduire progressivement au régime commun de la loi impériale. Le second concerne la lutte contre les trafiquants Han pénétrant dans le Guizhou pour se livrer au trafic d’êtres humains: on y perçoit une tension d’une autre nature, celle qui oppose la volonté de réprimer une criminalité à grande échelle et la nécessité de tolérer, voire de légaliser, certains de ces agissements. La complexité des lois sur l’esclavage et la vente d’êtres humains autant que la prise en compte d’un cycle de rébellions et de répressions militaires imposaient au pouvoir mandchou une approche pragmatique.

Wang Zhiqiang
Les lois spéciales à caractère régional dansle code des Qing


Les lois spéciales à caractère régional étaient des lois édictées par le gouvernement central vis-à-vis d’une situation particulière à une région donnée, et dont l’emploi se limitait à cette région. Sous les Qing, ces lois visaient les crimes les plus graves, elles étaient distribuées par le gouvernement central, principalement sur l’aire métropolitaine de Pékin et sur les régions frontières. Expressions du mécanisme de centralisation du pouvoir, leur production s’accompagnait de l’insertion systématique d’articles additionnels au sein du code des Qing. En ce qu’ils représentaient une adaptation ou un compromis avec les réalités locales et maintenaient la sécurité publique, ces articles additionnels avaient un rôle positif, mais du fait des défauts du système législatif et du manque de technicité de leur codification, des défauts apparurent d’emblée et s’accrurent avec le temps.

Xie Xin-zhe
Lieux de la loi, lieux du savoir : Maîtriser le temps et l’espace des autopsies sous les Qing

Sous l’article 412 du Code des Qing régissant les autopsies, il existe un groupe spécifique des articles additionnels qui résultent des soucis en relation à la fois avec le temps et l’espace. En raison de l’insurmontable vulnérabilité d’un cadavre, l’anxiété devant l’écoulement du temps est d’autant plus flagrante que l’autopsie est en jeu. De plus, l’impératif de réaliser toute autopsie in situ rend cette course contre la montre encore plus laborieuse. En outre, le Code stipule que seuls les magistrats locaux sont habilités à superviser une autopsie. Par conséquent, le défi posé par le temps et l’espace, conjugué avec l’habilitation exclusive du magistrat, donne lieu à un casse-tête caractérisé par le temps rallongé pour un magistrat habilité d’arriver sur la scène de l’autopsie. Sur la base des mémoires du palais jusqu’ici inédits, l’article retrace comment les législateurs des Qing tentèrent de résoudre un tel casse-tête en mettant progressivement en place des mesures accommodantes ainsi que des limites à leur utilisation. Ce faisant, l’article éclaire une conception particulière de l’expertise, qui met l’accent plus sur la fiabilité morale que sur la connaissance technique.

Max Oidtmann
Un monde de conflits féroces: Pratique judiciaire et réglementation légale de la religion en Amdo sous les Qing

Les historiens du Tibet ont largement ignoré les conséquences du contexte colonial du développement de la société tibétaine sous les Qing. Exploitant des archives jusqu’ici inaccessibles en Tibétain et en Mandchou du Qinghai et du Gansu, cet article examine les influences du gouvernement des Qing sur le développement de la culture juridique de l’Amdo. L’arrivée de magistrats des Qing en Amdo à la fin du 18e siècle offrit de nouvelles occasions aux justiciables tibétains de régler leurs litiges. Tout d’abord réticents à être impliqués dans ces poursuites judiciaires, les fonctionnaires des Qing se trouvèrent bientôt attirés dans une grade variété d’affaires allant des disputes sur les ressources naturelles entre laïcs tibétains à des affrontements de large échelle entre monastères sur des problèmes tels que la désignation des abbés, les pèlerinage, et les droits sur des propriété tant animées qu’inanimées, appartenant aux domaines de lamas réincarnés. Cet ensemble de litiges ne donna pas seulement naissance à un code «tibétain» dérivé des lois mongoles et d’autres pratiques indigènes, mais produisit un vaste corpus de décisions et d’agréments, rédigé tant en tibétain qu’en chinois, qui structura en profondeur la société indigène de l’Amdo. Ces nouvelles traditions de «pratiques judiciaires» (jurispractices) modifièrent profondément les structures politiques et religieuses de la société locale et aboutirent à des restrictions légales et à une réglementation des activités religieuses.

Ulrich Theobald
L’espace et le lieu dans les
réglementations de l’administration militaire à l’époque des Qing: une évaluation deszelicomme genre juridique

Cet article analyse trois ensembles de réglementations de l’administration militaire lors de l’apogée des Qing. Ils appartiennent au genre zeli, un genre de règlements qui a été négligé par les historiens récents. La première partie de cet article est donc une définition du genre et une description de ses caractéristiques. Une seconde partie étudie les Règlements sur les fournitures et dépenses de guerre (Junxu zeli) et une troisième étudie les Règlements sur les armes et l’équipement militaire (Junqi zeli) du ministère de la Guerre et du ministère des Travaux Publics. Il y est démontré que chacun de ces règlements fournissait en principe des règles claires et détaillées dans une large gamme d’aspects de l’administration militaire. L’espace et le lieu jouaient un rôle important dans ces instructions (par ex., la destination des mouvements de troupe, ou la localisation des garnisons). Pourtant, en pratique, ils offraient une marge de manœuvre suffisante pour permettre une adaptation aux conditions locales et une bonne part d’autonomie. Cela est dû au fait que ces codes visaient tous les trois à réduire les dépenses, et non à unifier les armements et les équipements. L’échec à unifier les équipements et à moderniser les règlements au début du 19e siècle devait avoir des conséquences fatales.

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Date de parution
Collection
Extrême-Orient, Extrême-Occident
Pages
234
ISBN/ISSN
978-2-84292-556-7 / 0754-5010
Auteur(s)
Jérôme Bourgon | Auteur(s) : Frédéric Constant | E. John Gregory | Jean-Louis Halperin | Zhang Ning | Max Oidtmann | Eric Schluessel | Ulrich Theobald | Xie Xin-zhe | Wang Zhiqiang
Éditeur
Presses Universitaires de Vincennes