Un pour tous, tous pour le parti !

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The 12 members of the first Party Congress in July 1921 / First row, from the left: Mao Zedong, Dong Biwu, Li Da, Liu Renjing, Wang Jinmei, Chen Gongbo. / Second row, from the left: He Shuheng, Chen Tanqiu, Li Hanjun, Zhang Guotao, Deng Enming, Zhou Fohai.

Les 12 membres du 1er Congrès du Parti en juillet 1921. Première rangée à partir de la gauche :
Mao Zedong, Dong Biwu, Li Da, Liu Renjing, Wang Jinmei, Chen Gongbo.
Seconde rangée à partir de la gauche :
He Shuheng, Chen Tanqiu, Li Hanjun, Zhang Guotao, Deng Enming, Zhou Fohai.

Plus de 20 ans après l'écrasement du Printemps de Pékin dans la nuit du 3-4 juin 1989, la Chine pourrait-elle connaître un nouveau printemps, « par contagion » de la vague de manifestations et révolutions qui secoue le monde arabe en 2010-2011 ?

En l'espace de trois décennies, la Chine est passée de l'isolement international au statut de puissance mondiale. À l'orée du XXIème siècle, le Parti communiste chinois (PCC), nonagénaire — l'un des plus vieux partis politiques au monde — et au pouvoir depuis plus de 60 ans sans partage ni discontinuité a incontestablement changé de nature par rapport à ce qu'il était lors de sa création : en 1921 — un parti clandestin —, en 1935 — un parti au bord de l'extermination —, en 1949 — le parti de la nation chinoise qui a triomphé sur les forces impérialistes et nationalistes —, en 1966 — un parti repris en main par Mao qui refusait de le laisser s'embourgeoiser et comptait le revivifier au travers d'une autre révolution, culturelle celle-là —, ou en 1989 — un parti réaffirmant à la face du monde sa nature totalitaire qui écrasa sous les chars une jeunesse ivre de démocratie, alors même que le bloc communiste vivait son chant du cygne en Europe de l'est.

Plus de 20 ans après ce tragique épisode, le PCC n'en continue pas moins de diriger seul le pays, et même mieux qu'il ne l'avait jamais fait. Aujourd'hui c'est une organisation dont les dimensions tant idéologique qu'organisationnelle ont fondamentalement changé, le pouvoir politique n'ayant eu de cesse de s'adapter et par là-même de se renouveler, et ce, non pas, dans une stratégie de survie, mais pour demeurer pertinent à la tête du pays dans une optique de règne longue durée.

Quel est donc le secret de la longévité du Parti-État chinois ? Pour comprendre la dynamique des régimes politiques et comment ils se transforment, il est nécessaire d'appréhender leurs élites en action et en interaction. Si le terme « élite » recouvre en Chine une réalité particulièrement complexe et changeante, deux grandes catégories peuvent êtres distinguées : l'élite politique et les élites socio-économiques.

L'élite politique, autrefois victime — au même titre que d'autres catégories sociales — des campagnes politiques et de leur lot de purges récurrentes dans l'histoire de la République populaire, circule au sein de la nomenklatura suivant des procédés aujourd'hui bien rôdés, grâce à l'institutionnalisation progressive du renouvellement des cadres dirigeants depuis le lancement des réformes en 1978. Néanmoins, ces dirigeants centraux et locaux, qu'ils aient été entièrement formés en République populaire ou en partie à l'étranger, sont encore largement promus selon les mêmes règles de cooptation que leurs prédécesseurs et le passage par les écoles du Parti demeure le complément de formation obligé pour tout fonctionnaire qui ambitionne d'intégrer cette élite, estimée aux alentours de 80 000 dirigeants.

Très différente des trois précédentes — celle de Mao Zedong (1949-1976), Deng Xiaoping (1977-1989) et Jiang Zemin (1989-2002) —, parce que marquée par la Révolution culturelle, mais promue à l'ère des réformes, la quatrième génération de dirigeants menée par le Président Hu Jintao et son Premier ministre Wen Jiabao fera place, en 2012, à la cinquième génération, dont l'actuel vice-Président de la Commission militaire centrale, Xi Jinping, prendra très certainement la direction. Si aujourd'hui la grande majorité des cadres dirigeants a reçu une formation scientifique, souvent dans une école d'ingénieurs, on compte aussi un nombre croissant de responsables issus de cursus en économie, droit ou administration publique.

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March 10th, 2011: Zong Qinghou (on the left), President of the Wahaha group and the richest man in China, leaves the People's Grand Hall after a session of the National Popular Assembly, of which he is a member since 2002. (© 2011 / Feng Li/Getty Images AsiaPac)

10 mars 2011 : Zong Qinghou (à gauche), Président du groupe Wahaha et l'homme le plus riche de Chine, quitte le Grand Hall du Peuple après une session de l'Assemblée populaire nationale dont il est membre depuis 2002. (© 2011 / Feng Li/Getty Images AsiaPac)

Au sommet de la pyramide socio-économique de la Chine post-Mao se trouvent les catégories socio-professionnelles supérieures telles que les universitaires, chercheurs, entrepreneurs et cadres du secteur privé, journalistes, artistes, avocats, etc., ayant soit émergé, soit été réhabilitées depuis 1978. Ces élites socio-économiques sont dominées par les citadins de la Chine côtière. Elles affichent une certaine aisance matérielle, mais leur bagage socio-culturel et économique demeure hétérogène. Si certains entrepreneurs privés ont réussi dans les affaires et accumulé une fortune impressionnante malgré une scolarité interrompue par la Révolution culturelle, la plus grande partie de ces élites est cependant issue des universités chinoises et de plus en plus des grandes universités occidentales. Bien que minoritaires, ces élites ont fait l'objet d'une attention toute particulière de la part des spécialistes des sciences sociales, la question étant de savoir si les entrepreneurs chinois pourraient suivre l'exemple de leurs homologues anglais à l'ère de la révolution industrielle et si le reste de la classe moyenne supérieure chinoise pourrait marcher dans les pas des bourgeois du siècle des Lumières, les uns et les autres s'étant illustrés comme les fervents partisans de la démocratisation.

Or, ayant (r)établi leur statut socio-économique à la faveur des politiques gouvernementales à l'ère des réformes, ces élites, tout en gagnant en autonomie vis-à-vis du Parti-État, ne cherchent pas pour le moment à remettre en cause la légitimité du régime en place, auquel elles doivent d'ailleurs en grande partie leur ascension sociale. Précisément parce qu'elles constituent la minorité des très privilégiés au sommet d'une structure socio-économique extrêmement polarisée, elles ne sont pas favorables à l'émancipation des masses par peur du « chaos social ».

Certes, à la faveur de la politique de réforme et d'ouverture, les intellectuels publics animèrent dans les années 1980 des « salons » à l'image de ceux qui caractérisaient la France du XVIIIè siècle. Mais la répression de Tian'anmen réduisit au silence les opposants au régime, forçant un certain nombre à l'exil. Dans la décennie suivante, ceux qui n'abandonnaient pas l'espoir de contribuer à un monde meilleur durent changer de cheval de bataille et se reconvertirent en experts-conseillers du pouvoir dans l'élaboration des politiques publiques, constituant ainsi des think tanks qui n'ont cessé de gagner en importance depuis lors, comme l'atteste la tenue à Pékin, en juillet 2009, du Global Think Tank Summit, lequel réunit près de 900 participants et fut organisé par un super think tank (chaoji zhiku), le Centre des échanges économiques internationaux de la Chine.

Si les think tanks ne constituent pas un phénomène nouveau en Chine — d'aucuns n'hésitent pas à les faire remonter au temps de Confucius ! —, dans les années 2000 à 2010, ceux-ci sont devenus des organisations semi-gouvernementales dont la prééminence et le développement sont sans précédent. En effet, au noyau constitué par les intellectuels publics, dont beaucoup sont des économistes rentrés au pays après avoir obtenu leur doctorat en Occident, vient s'ajouter un nombre croissant de hauts cadres dirigeants qui cherchent à se placer dans les think tanks les plus en vue ou les universités les mieux cotées, parfois alors même qu'ils sont toujours en poste. Ceux-ci sont rejoints par les hommes d'affaires aussi bien du secteur privé que des grandes entreprises d'État : en échange de son soutien financier aux think tanks, l'élite économique peut chercher à orienter certains débats au profit de ses propres affaires.

Ainsi ces trois catégories d'élites distinctes que sont les dirigeants en exercice ou à la retraite, les hommes d'affaires et les intellectuels publics se retrouvent dans les think tanks, qui cumulent à la fois les pouvoirs politiques et financiers avec le savoir. Unies dans la pluralité ou plurielles dans l'unité, telle est l'image que la Chine donne de ses élites. Si les effets de cette union quasi « incestueuse » sur l'évolution de la nature du et de la politique en Chine à moyen et long termes restent à étudier, pour l'heure l'on peut dire que les think tanks sont très loin des salons du siècle des Lumières et de ceux de la Chine des années 1980. Ces élites œuvrent non pas à renverser le joug du Parti unique, mais bel et bien à sa pérennisation, et ce en réorientant les politiques publiques de manière à rendre le Parti-État aussi réactif et légitime que possible. Ainsi, après avoir opéré un tournant élitiste au début des années 2000 en invitant les nouvelles élites socio-professionnelles et notamment les entrepreneurs privés à rejoindre le Parti, avec un succès certain comme le montre l'évolution de la composition des think tanks, depuis lors le Parti a opéré un autre tournant, aux accents rawlsiens, en partant à la reconquête de sa base sociale et ce, sur les conseils d'un autre courant d'experts se réclamant de la nouvelle gauche. Rééquilibrer les inégalités sociales pour un développement socio-économique plus équitable, faire amende honorable de ses erreurs et manquements en reconnaissant le travail social des ONG chinoises et en s'appuyant sur ces dernières dans certains chantiers sociaux, le tout sans libéralisation significative du système politique, tel est le nouveau pacte social que l'élite dirigeante propose à la société chinoise. Et toutes les études menées à ce jour par des chercheurs chinois ou étrangers tendent à montrer que dans l'ensemble, la population soutient le régime en place. Les quelque 80 millions de membres que compte le Parti communiste chinois aujourd'hui, nombre en progression constante, même s'ils y ont adhéré plus par intérêt que par conviction, témoignent de la popularité dont il jouit.

AnnéeNombre total de membres du PCC199760.417 millions199861.877 millions199963.221 millions200064.517 millions200164.517 millions200266.355 millions200570.80 millions200773.36 millions200977.995 millions

Source : ChinaToday.com

Que cela nous plaise ou non, la Chine s'est bel et bien forgée une trajectoire de développement qui lui est propre, différente en bien des points de celle qu'a connue l'Occident. Reste à caractériser ce modèle chinois plébiscitée par la grande majorité de ses élites et de la population. Sans toutefois exclure l'éventualité d'une vague insurrectionnelle nourrie par les millions de laissés-pour-compte de la croissance et les spoliés du régime, lesquels immobiliseraient quelques points névralgiques du territoire, il semblerait, au vu des acquis accumulés par le Parti ces trente dernières années, que la Chine ne soit pas assez mûre pour un nouveau printemps révolutionnaire.

Emilie Tran
Maître de conférences
Faculté du management, leadership et de science politique
Coordinatrice des masters
en science politique et en études chinoises contemporaines
Coordinatrice exécutive du Centre d'études globales et stratégiques
Université Saint Joseph, Macao (RPC)

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avril 2011
Emilie Tran
Maître de conférences, Université Saint Joseph, Macao (RPC)