Une épopée anthropocentrique nationale : représentation de la nature et de la science dans les films nord-coréens

Dans le cadre du séminaireCCJ-CRC: Intelligences de la Corée (I. Sancho, A. Delissen et V. Gelézeau) Benjamin JOINAU, professeur de Hong-ik University (Séoul), invité de l’EHESS donne une conférence intitulée «Une épopée anthropocentrique nationale : Représentation de la nature et de la science dans les films nord-coréens »

? le 4 décembre 2020 à 10-12h

À propos de l'événement

Le mythe de la science et de la connaissance rationnelle comme forces motrices du progrès humain a été abordé différemment par les divers positivismes modernes. Il a une signification et une place particulières dans les idéologies marxistes (Alfred Schmidt, 1971; Lucian Boia, 2000), où, dans la perspective de la dialectique matérialiste, la connaissance scientifique est la médiation entre l’homme et la nature. La théorie du Juche de la Corée du Nord offre une version extrême du matérialisme marxiste où la nature est définie non seulement comme l’objet du travail et de la production, mais aussi de la domination totale de l’homme. En tant que tel, cette approche apparaît comme la quintessence de la vision prométhéenne occidentale (Gilbert Durand, 1998) du monde qui a radicalisé l’opposition homme/nature.

Cette conférence se donne pour objectif d’étudier les films nord-coréens traitant de la question complexe de l’homme socialiste appliquant sa domination sur la nature à travers la science afin de produire un paysage humain où lire sa réalisation de soi comme individu juchéen, à la fois indépendant et orienté vers le bien de la communauté. À partir d’une lecture de ce récit cinématographique du point de vue de la théorie Juche, et en la comparant aux théories marxistes et soviétiques de la nature, nous définirons la spécificité mais aussi les différences et les contradictions de la pensée du Juche par rapport à ses sources. Ce faisant, au lieu d’appliquer une lecture critique basée sur une autre épistémè, nous souhaitons étudier la théorie nord-coréenne de la nature de l’intérieur et la remplacer dans une plus longue histoire des idéologies.

L’humanisme matérialiste juchéen considère l’homme comme un maître du monde qui ne doit pas seulement utiliser l’environnement naturel comme une réserve de ressources et un support passif de son action, mais comme l’objet sur lequel appliquer sa finalité destinale. La nature est le domaine même où l’homme peut appliquer et réaliser son chajusong, sa « créativité et conscience », afin d’atteindre son indépendance et son bonheur. Par conséquent, dans la perspective juchéenne, la nature est le milieu où ou le niveau de chajusong d’un peuple ou d’une nation peut être lu. Dans la perspective de la pensée du Juche elle-même, les paysages naturels, les zones rurales et les paysages urbains sont les miroirs de la juchéisation d’un pays.

Les films de fiction de la Corée du Nord, en tant que productions symboliques totalement contrôlées par le régime, sont des illustrations parfaites de cette théorie. Beaucoup de films dits de « Réalité socialiste » produits à partir des années 1970 traitent de la question de l’agentivité de l’homme sur son environnement à travers la science. Les films façonnent et confirment une épopée anthropocentrique de domination du peuple sur le milieu de la RPDC. Ainsi, ils brossent un portrait du héros «socialiste» comme martyr sacrifiant sa vie pour le pays afin de réaliser le destin de ce dernier, dessinant l’image d’un «superman» (ou superwoman) transcendant la quête individuelle du bonheur. Cette image de l’homme/la femme socialiste coréen.ne est une vision post-individuelle de l’humanisme, mais aussi une approche post-marxiste puisqu’elle ajoute une dimension téléologique à la dialectique de l’homme et de la nature absente de la théorie de Marx.

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