Compte-rendu du webinaire « Résilience des systèmes économiques et politiques en Asie en temps de crise »

Le 5 juin 2020, le bureau des jeunes chercheurs du GIS Asie a organisé un séminaire en ligne sur la résilience des systèmes économiques et politiques en Asie en temps de crise. Une trentaine de participants ont répondu présents. L’objectif de cet événement était double. D’une part, il s’agissait d’appréhender les premières conséquences économiques de la crise actuelle et de l’autre de mettre en perspective la résilience des systèmes sociaux en Asie du Sud et du Sud-Est.

Comment l’accès aux soins est devenu encore plus inégalitaire entre pauvres et riches au Vietnam ? À quelles formes de solidarités les Indiens, notamment les Dalits du Tamil Nadu, ont-ils fait appel pour survivre? Comment le Cambodge sort peu touché de la pandémie, malgré des mesures gouvernementales très limitées? Telles sont les questions qui ont été successivement examinées par Vy Cao, Isabelle Guérin et Antonin Morin.

Vy Cao, doctorant contractuel au CNRS à l’IrAsia (UMR7306), rappelle le contexte politique et social au Vietnam, marqué par la politique du Doi Moi, l’intégration à l’ASEAN et la densité démographique des grandes métropoles (en lien avec l’important exode rural). L’intervention de Vy Cao se concentre ensuite sur l’évolution des politiques sociales et sur la fragilité du système de santé (insuffisante rémunération du personnel), majoritairement financé par les collectivités locales, mais aussi par les familles et les associations caritatives. Malgré des mesures de régulation du secteur privé médical prises dès 1993, les inégalités entre patients riches et pauvres n’ont fait qu’augmenter. Le système d’assurance maladie ne prend pas en charge les employés de l’économie informelle, alors qu'ils constituent la majorité des travailleurs du pays.

Vy Cao continue en affirmant que l’absence de décès lié au Covid-19 au Vietnam a favorisé l’assouplissement des mesures de confinement. Cependant, l’économie du pays a été impactée par la baisse du commerce mondial. L’État a donc mis en œuvre des plans d’aide pour les entreprises, les travailleurs indépendants et les familles pauvres. Des mobilisations citoyennes se sont développées (distributions alimentaires et organisation de cantines populaires). Cependant, l’absence de cadre législatif pour le milieu associatif freine la pérennisation de ces initiatives.

Finalement, Vy Cao met en exergue les enjeux géopolitiques découlant de la gestion nationale du Covid-19 : elle permet au Vietnam d'asseoir sa puissance régionale. Du point de vue des citoyens, la crise sanitaire actuelle a été l’occasion pour les acteurs locaux de participer davantage à la vie politique et sociale du pays.

Isabelle Guérin,socio-économiste à l’IRD, présente les différentes stratégies de résilience des Indiens dans la crise du Covid-19, dans un contexte local où le mouvement, la dette et la sociabilité sont les piliers de l’accès aux ressources. Sur la base des résultats des enquêtes menées par téléphone (avec son groupe de recherche formé par Arnaud Natal, Christophe Jalil Nordman, Sébastien Michiels et G. Venkatasubramanian) auprès des habitants du Tamil Nadu, elle explique que la majeure partie des revendications d’aides gouvernementales viennent des Intouchables (Dalits) qui sont les plus affectés par la chute des revenus. De plus, les filets de protection mis en œuvre par l'État, que ce soient les aides financières ou les aides en nature (distributions alimentaires) sont insuffisants. Malgré le fort développement de la bancarisation, Isabelle Guérin explique que l'épargne est très limitée et qu’elle est une prérogative essentiellement féminine. La crise a engendré un gel de la dette, une érosion de la confiance (en réaction aux incertitudes de la crise) et une résurgence d’anciennes formes de dépendance (comme l’endettement ou le travail intensif de la terre, alors même que les emplois agricoles sont de moins en moins nombreux à cause du remplacement de l’agriculture vivrière par des cultures de rente et un attrait des emplois non agricoles). Isabelle Guérin conclut que la crise a révélé une baisse de la richesse, matérielle et immatérielle (notamment l’érosion de la confiance), une systématisation de l’endettement et un climat de méfiance généralisée.

Antonin Morin, économiste actuellement basé à Phnom Penh, travaille sur la montée en puissance chinoise et les nouvelles normes sociales en Malaisie, au Cambodge et au Vietnam. À partir de l’analyse de la photo de Han Sen, le Premier ministre, qu’on aide à mettre son masque, Antonin Morin qualifie la gestion de la crise au Cambodge de laxiste, quand bien même le bilan sanitaire n’est que de 125 cas détectés, 2encore actifs et 1 mort. Après une première période de déni, le gouvernement a mise en place un confinement partiel du 16 avril au 18 mai et la restriction des déplacements interrégionaux et internationaux. Les frontières sont finalement rouvertes au commerce dès le lendemain, le 17 avril. Antonin Morin explique que, malgré la mise en place de garanties gouvernementales, dont celle, pour les ouvriers, de recevoir 80% de leur salaire (dont 60% versés par l’État) pendant la période de fermeture des usines, des revendications demeurent. Il présente les perspectives économiques du pays : alors qu’il y a aujourd’hui le plein emploi au Cambodge, la Banque mondiale a annoncé l’augmentation à venir des taux de chômage et de pauvreté, en raison de l’important impact économique de la crise sur les partenaires du Cambodge. Il évoque rapidement la poursuite (dès la fin du lockdown) du «Made in Cambodia» (l’importante industrialisation du pays sur le modèle du «Made in China» avec une main d’œuvre peu couteuse et une décentralisation des activités industrielles, notamment le secteur textile) autrefois majoritairement basées en Occident) pour montrer que le pays ne connait pas de choc économique à ce jour et que la résilience de ses habitants est y beaucoup moins visible qu’en Inde et qu’au Vietnam.

Antonin Morin insiste sur le renforcement de l’autoritarisme dans ce pays, caractérisé par le contrôle généralisé des médias et des réseaux sociaux. Il s’interroge sur le modèle économique mis en place au Cambodge, État qu’il qualifie de «concessionnaire», revient sur la grande dépendance du Cambodge à l'égard du tourisme international (et des casinos), mais affirme qu’il est encore trop tôt pour connaître l’ensemble des conséquences de la crise du Covid-19.

Pour finir, Miwon Seo (docteur en sociologie, EHESS) présente le projet comparatif RegWet. Regulating Wetmarkets in Central China : Ethnographic Study of the Perception of Zoonotic Risks after the Covid-19 Crisis sur la régulation des marchés animaliers entre la Chine et la Corée du Sud dans le cadre du programme de recherches piloté par Frédéric Keck. Hou Renyou (post-doc, CEPED, Université de Paris/IRD) expose le projet HospiCOVID. Leçons apprises de la résilience des hôpitaux et du personnel face à l’épidémie de Covid-19 (France, Canada, Brésil, Mali, Chine) piloté par Valery Ridde. Ces deux projets ont été retenus par l’appel Flash Covid-19 de l’ANR.

Les participants partagent plusieurs ressources récentes sur le Covid-19 dont deux billets publiés dans le carnet de l’EHESS et dédiés à l’Asie du Sud-Estet un troisième issu de la revue australienne en ligne d’analyse de l’actualité, The Conversation :

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Le Coronavirus a un impact majeur sur l'économie, difficile à mesurer.
Campus Condorcet, bât. Recherche Sud, 5, cours des humanités