Fictions de l’Extrême-Orient. Places de l’Asie sur la scène culturelle mondiale

Dans L’Orientalisme (1978), Edward Said distingue clairement un Orient imaginé par l’Europe, désigné comme le monde arabo-musulman, de l’Orient construit par les États-Unis, qui concerne en particulier la Chine et le Japon, passant ainsi sous silence la relation complexe, née en grande partie de l’histoire coloniale, qui s’est nouée entre l’Europe et l’Extrême-Orient (l’Inde et le Royaume-Uni, l’Indochine et la France, etc.). Or, dans un article de 2014 intitulé «Pourquoi l'orientalisme d'Edward W. Said n'est-il pas un japonisme?», Marc Kober pointe très justement le fait que «si l’on part de la remarque d’une “affinité particulière de l’Angleterre et de la France pour l’Orient”, encore faut-il préciser que cette affinité fut double: en direction du Proche ou du Moyen-Orient, mais aussi en direction de l’Extrême-Orient et de l’Asie». D’une façon subversive, le critique en vient alors à se demander si L’Orientalisme de Said ne serait pas «un orientalisme de plus».

Sans vouloir prendre part à la polémique, nous aimerions explorer la manière dont les fictions ont construit des représentations de l’Extrême-Orient. Des récits de voyage des premiers explorateurs aux jeux de plateau contemporains, il s’agira d’analyser les processus de construction des imaginaires de l’Asie par les autres nations et continents.

L’objectif de cette journée n’est pas de dresser un panorama des relations entre Orient et Occident mais plutôt d’interroger la nature et la fonction des représentations de cet Autre suprême qu’incarne généralement l’Asie pour les aires culturelles qui la mettent en scène. Suivant une démarche résolument comparatiste, nous accorderons donc une importance particulière à la pluralité des points de vue et aux rapports de force qu’ils impliquent.

Les propositions de communication pourront porter aussi bien sur les siècles anciens que sur la période contemporaine. Les corpus convoqués pourront être purement littéraires, ou transmédiatiques (musique, peinture, cinéma, séries, créations numériques, jeux,...).

Elles pourront s’inscrire dans l’un des axes suivants:

1. L’Asie pour cadre: un tableau en trompe-l’œil?

On pourra envisager la manière dont l’Asie a été utilisée comme décor fictionnel, par exemple dans les récits de voyage ou bien les jeux vidéo se déroulant en Asie, mais également comme cadre métaphorique. Lorsque John Cage ou Raymond Queneau utilisent le Yi King en tant qu’outil de création artistique, ils présentent la culture asiatique comme un moyen d’accéder à un autre régime de vérité – plus mystique, car non assujetti à un supposé poids de la rationalité occidentale. Dès lors, il sera intéressant de s’attarder sur ces phénomènes d’interculturalité par lesquels les productions culturelles occidentales ont pu s’approprier, et par là même détourner, des thèmes, des motifs, des pratiques venu.e.s d’Extrême-Orient. À ce titre, une réflexion pourra être menée sur les migrations génériques entre l’Asie et le reste du monde (diffusion du haïku, du manga, du light novel, etc.).

2. Miss Fong-D'Ting, Mulan & consort: les représentations des personnages asiatiques dans les fictions étrangères

La mise en fiction de l’Extrême-Orient passe également par la représentation de personnages d’origine asiatique, reflets fictifs des mouvements de diaspora. Il sera donc bienvenu de réfléchir à la construction de ces personnages ainsi qu’à leur réception. Il s’agira aussi d’analyser leur portée idéologique, notamment dans les cas où leur présence se trouve effacée. En effet, un certain type de fictions tend à multiplier l’usage du stéréotype et du cliché raciste. Une attention particulière pourra être portée au traitement des personnages féminins. De même, il sera important de faire une place aux phénomènes qui invisibilisent les personnages asiatiques, comme le montre par exemple le whitewashing mis en scène dans l’adaptation Netflix du manga japonais Death Note de Takeshi Obata. Cet axe se prêtera particulièrement aux études transmédiatiques: cinéma, séries, dessins animés, bande dessinée (Le Lotus bleu, ou Les Aventures de Tintin, reporter, en Extrême-Orient de Hergé), jeux de société (Mystères de Pékin, Milton Bradley Company), publicités, etc.

3. Au-delà du vieux centre: regards extra-européens sur l’Asie

L’Occident n’est pas le seul à avoir construit son Extrême-Orient imaginaire. D’autres aires culturelles ont également fantasmé l’Asie, en la transformant en ressort fictionnel. Dans un souci de décentrement (et ce afin d’éviter le pur européocentrisme), on pourra envisager la manière dont l’Asie a été perçue par l’Amérique du Sud, l’Afrique, l’Océanie, le Moyen-Orient, etc. Cette question des relations entre des espaces généralement perçus comme périphériques est d’autant plus importante qu’elle illustre la complexité et la richesse des transferts culturels entre l’Asie et le reste du monde. Pêle-mêle on citera, entre autres exemples: la traduction d’Un barbare en Asie d’Henri Michaux par Jorge Luis Borges, l’influence du bouddhisme zen de Daisetz Teitaro Suzuki sur Julio Cortázar (Rayuela devait initialement s’intituler Mandala), ou encore la passion d’Octavio Paz pour l’Inde (Vislumbres de la India).

4. Aux marges de l’Asie: les oubliés des fictions étrangères

Les représentations de l’Asie se limitent souvent à quelques espaces: la Chine, l’Inde, le Japon et plus récemment, la Corée du Sud. Quid des marginaux du continent? Comment penser ces «périphéries littéraires» (Casanova, 1999) souvent laissées pour compte au profit de nations plus influentes? Qu’en est-il des représentations fictionnelles du Laos, du Cambodge, de la Thaïlande ou encore du Vietnam? Quelle place ces minores de l’Extrême-Orient occupent-ils sur la scène culturelle mondiale? Que révèle leur absence? Dans une perspective plus théorique, il sera donc possible de proposer une reconfiguration de la cartographie géo-culturelle de ces imaginaires.

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Les propositions de communication, d’une longueur de 400 mots environ et accompagnés d’une bio-bibliographie devront être envoyées avant le 20 décembre 2020 aux adresses suivantes:

manon.amandio[at]uca.fr, sebastien.wit[at]u-picardie.fr

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Organisateurs:

Manon Amandio (université Clermont Auvergne)

Sébastien Wit (université Picardie Jules Verne)

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