La Chine se prépare aux JO (© 2008 / J. Auriac)

Plus vite, plus haut, plus fort. La société chinoise semble s'être coulée toute entière dans la devise de Coubertin. Qu'il est loin le temps de l'Empire immobile de Peyrefitte ! Liu Xiang, héros du public chinois, vainqueur du 110m haies aux derniers Jeux d'Athènes, premier médaillé d'or chinois en athlétisme, symbolise bien l'ascension sportive de ce pays. En vingt ans, ce dernier est passé de cinq médailles d'or glanées en 88 à Séoul à une moisson de 63 médailles (32 en or) aux 28èmes Jeux de 2004, juste derrière les Etats-Unis (35). Il améliore continuellement ses scores en Championnats et Coupes du monde, passant d'une moyenne annuelle de 45 médailles dans les années 80, à 92 dans les années 90, et 105 pour les années 2000. Pourtant, la situation sportive du pays ne saurait être comprise sur le seul critère de ses réussites récentes en rencontres internationales.

Du sport…

Le néologisme moderne chinois le plus employé pour désigner le «sport» (yundong/mouvement) ne renvoie qu'à une notion cinétique. Nous sommes loin de l'étymologie française desport, «divertissement du corps et de l'esprit». Les «sports» modernes que nous ont légués les collèges de la gentry anglaise du XIXe siècle, visant à lier éducation intellectuelle et éducation physique, ne sont cependant pas ennemis de la tradition chinoise, loin s'en faut. Confucius, lui-même, faisait entrer le tir à l'arc dans son cursus idéal. La tradition plaçait, non loin de l'art du pinceau, celui des arts martiaux, pratiqués il est vrai essentiellement, comme chez nous aux temps anciens, par les militaires ou les clercs.

Mais le sport reste largement l'apanage des pays développés. La Chine, entrée en 1980 après 30 ans d'absence, totalise 281 médailles, dont les 4/5 décrochées depuis 1988, contre 2 413 pour les Etats-Unis, le «concurrent à battre». Au fond, ces résultats dans l'histoire du mouvement olympique ne paraissent pas à l'échelle d'une population, aujourd'hui estimée à 1,3 milliard. Si l'on compare cependant ces réussites aux quatorze médailles jamais rapportées par l'Inde, l'équation sport / niveau de développement paraît plus que jamais fondée.

Le sport chinois, reflet des clivages de la société toute entière, est un système à deux vitesses. D'un côté se trouvent les champions olympiques ou du monde, icônes survitaminées, destinés à administrer à l'opinion internationale et intérieure la preuve de la réussite de la Chine post-Deng Xiaoping. Ils constituent l'orgueil d'une nation, qui vit, à travers les performances de cette minorité, comme ailleurs dans le domaine de la conquête spatiale, une sorte de revanche vis-à-vis d'un Occident depuis des siècles dominateur. Quoi de plus naturel ! De l'autre côté une carence préoccupante d'exercice physique de la population confinant parfois à un véritable problème de santé publique (obésité des enfants uniques).

Pratique du sport en Chine
(© 2008 / J. Auriac)

Pour la pratique «de masse», nous disposons de deux enquêtes nationales (1) menées par la Commission chinoise des sports en 1996 et 2001. Celle de 2008, qui sera publiée à la fin de l'année, même si elle devait accuser une légère progression, ne devrait pas présenter de profonds changements. Il ressort de celle de 2001 que 35% de la population de plus de seize ans s'est adonnée au moins une fois dans l'année à une activité physique ou sportive (une partie de tennis de table, une excursion à pied, quelques paniers de basket, …). L'augmentation de 0,65% par rapport à 96, si l'on tient compte de la croissance naturelle de la démographie pendant la même période de 6 %, implique un indéniable recul dont s'inquiètent fortement les autorités. En fait, le sport amateur tout comme la santé, la sécurité sociale ou l'école ont été les victimes des restructurations économiques. Il n'est pas sûr, cependant, que les employés regrettent le temps de la gymnastique obligatoire sous les haut-parleurs hurlants de l'ère maoïste.

En 2001, la population des plus de 16 ans exerçant une activité sportive ou physique régulière s'élevait à 18,3 %, avec un écart de près de 3 points entre hommes et femmes, au détriment de ces dernières - comparer au 71% de la France -. Si nous rapportons ces 18,3 % à celui des amateurs qui, au sein de ce groupe, ont participé à au moins quatre compétitions ou démonstrations dans l'année (23,2 %, statistiques 2000) on obtient un ratio de 4,5 % de la population pratiquant un sport de compétition. Les huit activités les plus prisées des amateurs sont, par ordre, la marche à pied et la course, le badminton, la natation, le foot, le basket, le volley-ball et le tennis de table.

Pour composer un tableau plus proche de la réalité, il faut remarquer que le vélo reste tout de même l'un des moyens de locomotion les plus développés en Chine ; il est oublié de la statistique car vécu comme une contrainte et non comme un loisir. A l'inverse, sont inclus ces activités récréatives du troisième âge qui enchantent à nos yeux les parcs de la Chine entière de personnes âgées décomplexées s'adonnant à leur gymnastique matinale où à ces défilés rythmés traditionnels accompagnés à l'éventail, au tambourin ou aux cymbales…

Mais la pratique sportive de loisir ou amateur est en forme de «selle de cheval» avec une forte pointe pour les très jeunes et les personnes âgées. Une part infime des adultes au travail, engagée dans le «struggle for life», s'adonne à des exercices physiques. Le seul groupe à afficher des résultats supérieurs est celui des «personnels scientifiques et éducatifs» (34,3%) - à comparer aux 88% des diplômés du supérieur en France.

Alors pourquoi une si faible pratique populaire ?

Les raisons évoquées par l'enquête de 2001 sont :

  • - «le manque de temps» à 53,8% : il faut travailler dur pour offrir des conditions de vie décentes à sa famille, payer les études des enfants, leur installation dans la vie, amasser un pécule, car il n'y a pas ou peu de systèmes de retraite ;
  • - «le manque [cruel] de lieux destinés aux sports et d'équipements» à 34, 9 % : si la Chine compte aujourd'hui environ 20 000 infrastructures sportives (stades, gymnases, etc.), 71% de ces activités sont conduites dans des espaces publics non dédiés : «les parcs, les rues, les berges de rivières et canaux…» ; et puis, il ne faut pas oublier le smog des grandes villes qui n'engage pas forcément aux sports de plein air ;
  • - et le «manque d'intérêt» à 30,2% : on comprend ces centaines de millions de paysans ou de migrants ayant peu d'inclination à «remettre ça» après la peine, ou mieux encore, dans le large mouvement d'urbanisation actuel, on peut faire le parallèle avec notre génération d'après-guerre qui, libérée des travaux des champs de ses aînés, vivait comme un progrès l'absence d'effort physique.

Toutefois, les réponses orientées par le questionnaire occultent bien d'autres raisons, dont l'une paraît s'imposer plus que toute autre : l'absence de tissu associatif, peu encouragé, et son corollaire, la répugnance à participer à des activités de commande.

Enfin, l'enquête révèle, on s'y attendait, que la pratique du sport est de plus en plus liée aux revenus. Les nouvelles couches urbaines bénéficiaires de la croissance marquent un intérêt plus important à l'entretien de leur corps (Miss Monde 2007 n'était-elle pas chinoise ?) et consacrent une part de plus en plus forte de leur budget aux sports. Les salles de fitness fleurissent dans l'ensemble de la Chine. Mais il n'est pas donné à tout un chacun de s'y inscrire. Ainsi, à Pékin, l'abonnement à une salle de sport privée coûte annuellement entre 1000 et 5000 yuans (10 yuans=1euro) ce qui fait beaucoup pour un salaire mensuel moyen de 1800. Inutile de parler des golfs qui, à un autre niveau, permettent de marquer sa «distinction».

Si les enfants et les adolescents sont épargnés par ce marasme sportif car ils sont, comme chez nous, astreints à deux ou trois heures d'éducation physique hebdomadaire, ils ne goûtent guère aux joies d'un club sportif. Leur uniforme, de type survêtement coloré, masque une rude compétition scolaire entièrement tendue vers la réussite aux examens. L'effort parental joue plus sur les cours particuliers de math que sur les activités de détente dominicale. Le week-end, en tous cas en ville, l'utilisation des installations scolaires et universitaire est payante - loi du marché oblige - réservée aux extérieurs. Le coût d'occupation d'un court de tennis à Pékin, pour une heure, s'élève à 150 yuans en salle (la moyenne de température de Pékin est de -5°C en janvier et de 35°C en juillet) ou 60 yuans en extérieur, avec des prix à l'avenant pour une «pelouse» de foot.

Mobilisation de l'Ètat en faveur du sport, et des JO
(© 2008 / J. Auriac)

La «culture sportive» marque cependant des points. Les téléspectateurs sont friands de matches télévisés. La célébrité d'un Yao Ming, géant chinois de 2m23, dans le championnat NBA américain a fait de beaucoup d'adolescents chinois de véritables spécialistes du basket américain. Et la dernière coupe d'Europe de football a autant intéressé les Shanghaiens - désespérés du faible niveau de leurs équipes nationales marquées par la corruption -, que les Européens. Dire que l'on est Français partout en Chine entraîne une fois sur deux une remarque admirative sur Dji-da-nei (Zidane). L'industrie du sport connaît également une forte croissance, du vêtement aux matériels, jusqu'au Loto (caipiao). Gageons que ces Jeux feront naître dans le public un goût plus marqué.

Le sport de compétition chinois souffre donc d'une faiblesse chronique du sport amateur. Il est organisé de façon centralisée par l'Etat. La Commission nationale (ministère) est dotée des meilleurs instruments pour répondre aux exigences de fierté nationale. Elle coiffe les commissions provinciales chargées de l'organisation du sport jusqu'à la base. Un nombre assez restreint de compétitions sont officiellement organisées chaque année, environ 40 000 sur toute la Chine ces dernières années, elles ont réuni au total seulement 12 millions de participants en 2006, moins de 1% de la population. Selon les dernières statistiques, qui remontent à deux ans, la Chine compte uniquement 50 000 licenciés nationaux, toutes disciplines confondues, dont 5 000 accueillis dans les centres d'entraînement intensif. Les gros bataillons se trouvant en athlétisme, football et tir. 20 000 d'entre eux forment l'élite sportive, dûment rémunérée. Ils sont pour une grande partie sélectionnés très jeunes, en fonction non pas de leur intérêt pour telle ou telle discipline, mais sur leur profil physique, et entraînés dans un réseau pyramidal de 4 000 écoles de sport. Elevés pour obtenir des résultats, leur durée de vie d'athlètes surentraînés est relativement brève. 550 au moins (200 de plus qu'à Athènes) devraient prendre part aux épreuves et peut-être parvenir à briller dans d'autres disciplines que celles où ils fréquentent d'ordinaire les sommets : tir, plongeon, tennis de table, badminton, haltérophilie, gymnastique et judo.

Mais le «sport d'Etat» à la chinoise est un sujet rebattu sur lequel il est inutile d'insister. D'ailleurs, la Chine est loin d'être la seule à pratiquer cette forme outrancière et c'est bien là que réside toute l'ambiguïté des dérives actuelles du sport et des Jeux Olympiques en particulier.

Et des Jeux !

Travaux de démolition et nouvelles constructions
(© 2008 / J. Auriac)

Les JO de Pékin ne dérogeront pas à ce que nous avons vu précédemment dans les autres villes organisatrices, un bon nombre de crans au dessus. Les investissements ont été considérables pour mettre Pékin aux normes internationales, car la ville partait de loin.

Sur le seul plan des investissements sportifs, si l'on ne dispose pas de chiffres officiels, l'effort financier a été lourd : outre le grand stade national en forme de nid destiné aux cérémonies et le centre de natation époustouflant de modernisme, dont tout le monde a déjà vu les photos (conçus par des architectes occidentaux), neuf autres centres omnisports ont été construits dans la capitale (le plus souvent sur les campus universitaires), dix autres ont été entièrement rénovés pour l'occasion. Mais ce n'est pas tout, huit installations sportives temporaires ont été édifiées, sans parler du village olympique et des bâtiments techniques. Enfin, il faut y ajouter six stades ou bases sportives flambant neufs dans d'autres villes devant héberger des compétitions parallèles (football à Tianjin, Shanghai, Shenyang ; sports nautiques à Qingdao …).

Les seules études scientifiques conduites autour des Jeux, comme pour mettre au point une torche résistant au manque d'oxygène du sommet de l'Everest ou, plus sérieusement, pour donner à ces Jeux une image écologique (utilisation de sources d'énergie renouvelable, protection de la qualité de l'air), ou encore les études préalables aux constructions, se sont montées à 300 millions d'euros.

Une ville à l'architecture résolument moderne
(© 2008 / J. Auriac)

Jusque là, rien que de bien naturel, c'était le prix à payer pour que les Jeux aient lieu en Chine. Mais c'est sans compter les énormes investissements d'infrastructure destinés à faire de Pékin une cité capitale que le monde puisse «acclamer» (hecai) comme emblème d'une nouvelle superpuissance. L'immeuble de la Télévision centrale en forme d'immense «pantalon» (ah, l'ironie populaire !) défiant les lois de la physique ou encore le nouveau théâtre national conçu par Paul Andreu au cœur de la cité en sont le symbole. Depuis quelques années, la ville s'est ainsi couverte d'une forêt de tours de verre de plus de trente étages, destinées à prouver que Pékin est bien entrée dans le troisième millénaire.

Dans le domaine des transports, qui souffraient de lourds retards, les investissements ont été cyclopéens : la construction du nouvel aéroport, des autoroutes y conduisant, sa liaison suspendue avec le centre ville, de plusieurs lignes de métro, de rocades, de la ligne à grande vitesse Pékin-Tianjin, de gares, etc...

Rénovation des bâtiments anciens et des canaux
(© 2008 / J. Auriac)

La ville a subi un lifting total. La voirie a été systématiquement rénovée : les rues bitumées de neuf, les trottoirs repavés, avec passages pour handicapés (il ne faut pas oublier les Jeux paralympiques) le mobilier urbain remplacé, les lignes électriques enterrées, les résidences des Pékinois systématiquement ravalées. Le cœur historique urbain a fait l'objet de réhabilitations massives ; les monuments anciens ont tous été restaurés, toitures jaunes vernissées de neuf, murs vermillonnés. Et dans toute la ville, installés le long des rues, des appareils ingénieux pour la culture physique…

Le clou est sans doute l'effort remarquable en matière d'espaces verts. La ville a fait l'objet de plantations d'arbres à grande échelle. Des squares, des allées vertes, des parcs botaniques, récréatifs, ont été créés. Partout des massifs de fleurs ont surgi. Il sera difficile, cette année, de ravir à Pékin la palme de ville la plus fleurie au monde. Et du gazon, du gazon partout, aux portes du désert de Gobie ! Un grand canal destiné à amener les eaux du Yangtsé jusqu'à Pékin, creusé sur des centaines de kilomètres, est venu donner, juste à temps, de l'eau à la ville assoiffée depuis neuf ans, faute de précipitations. Il emplit maintenant les douves, les canaux et les étangs de la capitale à satiété.

Nouveaux espaces verts
(© 2008 / J. Auriac)

Enfin, il y a tous ces coûts non comptabilisés dont il est difficile de ne pas tenir compte. Ainsi, au nom de la lutte conte la pollution et pour faire de Pékin une ville respirable, depuis des années, la délocalisation des entreprises polluantes, le renouvellement récent des bus, la mise à l'encan de ces dizaines de milliers de taxis qui ne sont plus aux normes devenues européennement drastiques. Et pour clore le tout, toutes ces usines dans un rayon de plusieurs centaines de kilomètres autour d'une capitale étouffée des rejets des autres qui devront fermer pendant les mois d'août et septembre afin que vivent les Jeux sous un ciel serein.

Les instances politiques sont obnubilées par la crainte des désordres. Songeons que l'agence Chine nouvelle vient d'annoncer (22-06-2008) qu “une force anti-terroriste de la police et de l'armée de près de 100 000 soldats commandos a été mise en état d'alerte maximum pour contrer toute attaque terroriste avant et pendant les Jeux. […] La capitale mobilise en outre des forces de sécurité s'élevant à 150 000 hommes et un corps de volontaires assurant des patrouilles de plus de 290 000 personnes», soit un total de 540 000 hommes en regard des 500 000 visiteurs étrangers attendus.

La Chine, pays doté d'un centralisme à nul autre comparable, a concentré sans doute plusieurs points de son PNB pour convier fastueusement le monde à son banquet. Elle retient son souffle. S'il y a quelques mois l'homme ou la femme de la rue marquait un optimisme béat devant l'éclat des festivités annoncées, les événements récents autour de la flamme ou plus encore du tremblement de terre au Sichuan leur on fait prendre un peu de distance, voire d'inquiétude. «Les Jeux ne sont pas forcément essentiels» entend-on parfois.

Au fond, ces J.O., avec leur organisation outrancière, rendue possible par la «démesure» du pays dans lequel ils se tiennent et du régime qui les convoque – avec un tel désir de reconnaissance politique et d'expansion économique – offrent un effet de loupe sur l'actuelle mondialisation. La Chine se pense dans un rapport de force avec l'Occident et son défi est de faire mieux que les autres. Les dénigrements systématiques par l'opinion occidentale répondent, vus de Chine, à une même logique, et contribuent sans aucun doute à l'entretenir.

Et que diable si le sport n'obtient que la médaille de bronze ! Ce n'est pas la Chine qui l'a fait descendre du sommet du podium, mais bien ses dérives propres, économiques et politiques. Là n'est pas la question. Les sportifs du monde entier ont choisi de se présenter à ce rendez-vous. Il n'est qu'à espérer que tout se passe pour le mieux, que ce soit au moins une réussite pour cette immense majorité des Chinois qui en ont rêvé et qui souhaitent que ce soit la fête… leur fête./.


(1) http://news.xinhuanet.com/zhengfu/2002-12/10/content_655317.htm

Installations olympiques : la piscine et le stade, en forme de nid
(© 2008 / J. Auriac)
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août 2008
Jean Auriac
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