Perspective de coopération régionale dans le Pacifique : quels modèles d'intégration économique pour les territoires français ?

L’émancipation des collectivités françaises en Océanie ne peut se résumer à leur éradication de la liste des dix-sept territoires à décoloniser de l’Organisation des Nations Unies (ONU). Plus généralement, l’insertion dans les flux du commerce international des îles de moins d’un million d’habitants est au cœur des enjeux du développement insulaire. En effet, le système commercial multilatéral connaît une mutation profonde et semble engagé dans un morcellement régional de ses sphères d’influence. Depuis le début des années 2000, l’initiative des accords Pacific Island Countries Trade Agreement (PICTA) et Pacific Agreement on Closer Economic Relations (PACER) apparaît comme la première étape pour la construction d’un marché régional unique dans le Pacifique.


Source : Fédération des entreprises des Outre-mer, actes du colloque "Les enjeux économiques et stratégiques de l'outre-mer français du Pacifique, 2014"

Dans le bassin Caraïbe, la Méditerranée, le sud-ouest de l’océan Indien, et le Pacifique sud, les processus de coopération régionale se sont récemment développés entre des ensembles d’États insulaires afin de trouver une place dans le système commercial multilatéral. Cependant, l’Océanie s’étend sur un tiers de la surface du globe et affiche des contrastes saisissants. Autant dans leurs surfaces, la densité de leurs populations, ou la taille de leurs économies, les îles du Pacifique apparaissent comme un espace fragmenté et composite.

Au cœur de cet ensemble, les collectivités françaises pâtissent de l’isolement tout comme la majorité des Petits États Insulaires (PEI). Néanmoins, les réalités économiques de la Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie et de Wallis et Futuna sont particulièrement singulières. Si le territoire est richement doté en ressources minérales, l’archipel polynésien ne peut valoriser son exceptionnel patrimoine naturel qu’au travers du tourisme, les îles Wallis et Futuna n’ont pour ressources que les transferts financiers de la métropole.

La Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française partagent avec les PEI l’isolement et l’étroitesse de leurs marchés. Cependant les territoires français affichent un niveau de Produit Intérieur Brut (PIB) et un Indice de développement humain comparables aux pays développés à économie de marché. En effet, les transferts financiers massifs combinés aux protections de marchés ont créé des économies « sous serre » dont le pouvoir d’achat est sans lien avec leur puissance économique effective.

En Nouvelle-Calédonie comme en Polynésie française plus de 97% des entreprises ont moins de 10 salariés. Comme dans la majorité des îles d’Océanie, le modèle économique n’est orienté que vers le marché intérieur et présente peu de compétences pour l’export. Ainsi l’éloignement, le faible degré d’ouverture et l’hétérogénéité des îles du Pacifique influent directement sur les politiques commerciales.

La justification de ce protectionnisme réside dans la fragilité du tissu industriel et commercial qui ne peut entrer en compétition avec les flux de l’économie mondiale. En sus, la faible demande intérieure freine le développement d’un tissu d’entreprises solides et diversifiées. Cependant, la transition d’une production de substitution aux importations à une production de conquête de parts de marchés ne peut s’effectuer qu’en déterminant les avantages comparatifs des territoires français tout en structurant les filières susceptibles de se développer à l’international. Pour le moment, la capacité d’export de la Nouvelle-Calédonie (hors nickel) et de la Polynésie est quasiment inexistante et concerne peu de produits.

Dans un contexte de compétitivité coût hors normes il convient d’élargir le champ de recherche microéconomique sur les stratégies d’entreprises insulaires et le développement d’activités par la sphère privée.

Les études sur les modèles économiques des îles de moins d’un million d’habitants ont connu un renouveau dans les années 90 avec la création du groupe des Petits Etats insulaires en développement à l’ONU. Si la majorité des travaux universitaires s’inscrivent dans les courants de pensée néo-classique ou keynésien (Poirine, 1995), il s’agit d’avantage d’un diagnostic des contraintes insulaires combiné à une description des différentes subventions propres aux économies îliennes post coloniales.

Ainsi, la littérature insulaire conclut systématiquement que le transport et les petites échelles de production conduisent à une situation schizophrénique envers le libre-échange. En effet, l’isolement incite au repli, mais l’ouverture est indispensable à la croissance du niveau de vie. En conséquence, la réalité des PEI induit un traitement particulier lors des grandes négociations commerciales internationales.

Cependant, les îles d’Océanie se sont toujours protégées de la pression du libre-échange et plus particulièrement de la compétition commerciale des pays développés du Pacifique sud. D’un côté, les collectivités françaises du Pacifique sont liées à la sphère économique française par un accord d’association leur offrant un accès au marché européen en franchise des droits de douanes et sans contingentements. De l’autre, les PEI bénéficient de régimes préférentiels vers l’Australie et la Nouvelle-Zélande(South Pacific Regional Trade and Economic Cooperation Agreement, SPARTECA, 1981).


Source : Service de coopération régionale et des relations extérieures de Nouvelle Calédonie, 2015

Dans ce contexte, on observe depuis les années 2000 une accélération des projets de coopération régionale en Océanie. Avec l’ambition nouvelle d’impulser la règle du libre-échange, l’objectif est d’associer la majorité des membres du Forum des îles du Pacifique. Dans ce sens les accords-cadres PICTA (2002) et PACER (2001) doivent mettre en place la structure d'un marché unique.

Pour autant, ni la Nouvelle-Calédonie, ni la Polynésie, ne sont engagées dans les négociations en vue d’adopter les accords PICTA et PACER. Les territoires français disposent de liens commerciaux privilégiés avec l’Union européenne qui dissuadent toutes tentatives de s’adapter aux exigences de l’Organisation Mondiale du Commerce.

Dès lors, il convient de s’interroger sur le degré d’intégration optimum au sein de la zone Océanie. En effet, le faible niveau de développement et l’étroitesse des marchés des PEI offrent peu d’opportunités commerciales. Cependant, le niveau des PIB australien et néo-zélandais combiné à la stabilité de leurs économies constituent un potentiel d’échanges. Une plus large ouverture des territoires français dans leur environnement semble alors parfaitement paradoxale. De nombreuses îles du Pacifique sont des pays en développement présentant une main d’œuvre non qualifiée qui cherche à s’exporter pour occuper un emploi temporaire. De facto, un afflux de travailleurs saisonniers contribuerait à asphyxier les petits marchés de l’emploi calédonien et polynésien. Tout au contraire, la forte valeur ajoutée des biens australiens et néo-zélandais est de nature à déstabiliser les économies des collectivités françaises.


Source : Pacific network on globalisation, Tabu PACER-Plus, 2015

L’intégration de la Polynésie et de la Nouvelle-Calédonie dans leur environnement induit une modernisation des fondamentaux de la croissance (les transferts, l’indexation, la surévaluation de la monnaie), ainsi qu’une homogénéisation des niveaux de développement des îles du pacifique. In fine, les possibilités d’intégration mutuellement bénéfiques des territoires français relèvent plus d’interstices, tels que des échanges de marchés ou d’accords bilatéraux avec l’Australie ou la Nouvelle-Zélande qui ne revêtent pas qu’une dimension économique. Une plus grande ouverture envers ces pays pourrait être compensée par des contreparties de nature non économique et concerne en priorité les projets de coopération académique, associative, militaire, sportive et scientifique.

Mots-clés : économies insulaires, intégration régionale Pacifique, MIRAB, PACER, PICTA.

Jérémy Ellero
Chercheur associé au Laboratoire de recherches juridique et économique
Université de la Nouvelle-Calédonie

Diplômé du master 2 Gestion d’Entreprise et Affaires Internationales de l’Université Paris 1 - Panthéon Sorbonne et de la Reims Management School, Jérémy Ellero a précédemment travaillé en qualité d’analyste sur les investissements long terme (Capital Expenditure) au sein de Vale Nouvelle Calédonie. En 2012, il a rejoint le Laboratoire de recherches juridique et économique en tant que doctorant contractuel rattaché au projet «intégration régionale Océanie» pour le Fonds Pacifique du Ministère des Affaires Etrangères. Il a soutenu publiquement sa thèse en sciences économiques le vendredi 25 mars 2016 et obtenu la mention très honorable.

Brève bibliographie :

Freyss J., 1995, Economie assistée et changement social en Nouvelle-Calédonie, Presses universitaires de France, 456 pages.

Lagadec G.(dir.), Ellero J., Farvaque E., 2016, Quelle insertion économique régionale pour les territoires français du Pacifique?, Presses universitaires de la Nouvelle-Calédonie, 122 pages.

Poirine B., 1995, Les petites économies insulaires : théories et stratégies de développement, l’Harmattan, ISBN : 2-7384-3343-X, 290 pages.

Union européenne, 2013, Décision 2013/755/UE du conseil du 25 Novembre 2013 relative à l’association des pays et territoires d’Outre-mer (PTOM) à l’Union européenne. Journal officiel de l’Union européenne, consulté en juillet 2016

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novembre 2016
Malgorzata Chwirot
Chercheur associé au Laboratoire de recherches juridique et économique Université de la Nouvelle-Calédonie