Appel à communication de l’Association Asie Sorbonne
Colloque du 1-2 avril 2025
Appel à communication de l’Association Asie Sorbonne
Colloque du 1-2 avril 2025
De l’errance de Gautama et de Mahāvīra dans la forêt pour quitter leur identité princière et trouver l’illumination au road movie du chinois Han Han The Continent (2014), en passant par l’errance de Bashō (1644 –1694) ou la figure du rōnin dans Matatabi (1973) de Kon Ichikawa, les nombreuses pratiques de l’errance illustrées par les arts ou pratiquées par les artistes asiatiques suggèrent qu’il existe une forme de voyage imaginaire, intérieur, autant que physique, correspondant à la quête initiatique d’une vérité en germe dans la pensée. Cette quête peut être choisie – vagabonds et chevaliers errants (youxia游俠), pèlerins (Reader et Schultz 2021), artistes migrants – ou forcée – lettrés bannis par un souverain despote (Saussy 2024), exilés politiques tels que Gao Xingjian (Bergez 2020), Huang Yongping pour la Chine contemporaine) ou encore en Corée (Kim 2008, Lim 2022, Lee 2023).
Si l’errance hors de son milieu familier provoque une « renaissance » artistique, sociale, personnelle, qu’en est-il de l’errance de l’âme (gui鬼 ou muen 無縁) dans l’enfer bouddhique ? Que nous en disent le saṃsāra de l’hindouisme et du jaïnisme (« Personhood in Classical Indian Philosophy » 2022) ? Que nous disent les errances des fantômes de l’attachement à un groupe ou à un territoire ?
Faut-il donc rechercher ou craindre l’errance ?
L’errance et l’erreur ont la même étymologie (errare) : est-ce à dire que l’errance est réductible à l’erreur ? Il existe certes des témoignages artistiques d’errance négative, inféconde (voir Lu Xun 2004), qui semblent suggérer une apologie du retour à l’ordre, à un espace social stable. Mais la quête, pour être productive, nous semble supposer un certain lâcher-prise, un déport du sujet par rapport à son milieu, à ses habitudes mentales et sociales, voire une mise en danger. Elle se fonde sur une déambulation hasardeuse, sans but précis, dans un contexte physique et économique précaire (la subsistance par la vente de services ou par le don), créant une disponibilité aux rencontres avec l’imprévu, l’altérité, l’environnement. Une étude terminologique diachronique dans les différentes langues concernées pourra aider à mieux appréhender la notion puisqu’en chinois, le terme peut se traduire par piaobo 漂泊 (idée de flottement), ou encore par youdang 游荡 (voyage, dérive).
Nous formulons donc l’hypothèse que l’errance produit une reconfiguration entre soi et le monde ou l’espace environnant, et que cette reconfiguration met en évidence, par contraste, un espace mental et culturel que Georges Perec (2015) décrit ainsi : « L’espace de notre vie n’est ni continu, ni infini, ni homogène, ni isotrope. Mais sait-on précisément où il se brise, où il se courbe, où il se déconnecte et où il se rassemble ? » De même, Édouard Glissant définit l’errance comme un renouvellement de la relation du soi à l’espace, comme une nouvelle disposition de la conscience, qui est nécessairement en mouvement (2009). Haun Saussay, quant à lui, suggère que l’exil ou l’errance des lettrés chinois permet de modifier la relation d’appartenance au souverain, donc au territoire social (Saussy 2024). Enfin, l’exil, pour Gao Xingjian, est une blessure tandis que l’errance est liberté, comme le suggère son poème, « L’errance d’un oiseau » :
Désormais, tu es un oiseau libre, tu peux voler là où tu veux. Tu as le sentiment que devant toi s’étendent des terres vierges, inexplorées, au moins pour toi. […] Faire de cet instant un point de départ […] (cité par Bergez 2020).
L’errance est davantage un droit à l’erreur car peut-être n’y a-t-il pas de voie droite vers la vérité, vers la connaissance, et peut-être a-t-elle à voir avec l’expérience, un processus continu de transformation, un dialogue entre soi et l’environnement, proche du concept platonicien de chôra (χώρα).
À travers des études de cas relevant des arts et de la littérature asiatiques, incluant ou non des comparaisons avec l’Occident, on se demandera en quoi l’errance se traduit par une pratique féconde ou bien par une dissolution de soi.
Sans prétendre à l’exhaustivité, nous formulons les pistes de réflexion suivantes : quels sont les facteurs sociaux déclencheurs de l’errance (bannissement, exil, déclassement, dystopie, dérive) ? S’agit-il toujours d’une pratique individuelle ou bien existent-t-il des errances collectives ? L’errance se joue-t-elle dans le rapport entre soi et le milieu extérieur ou bien peut-elle être uniquement intérieure, comme le suggèrent le moine-peintre Zong Bing (宗炳, 375-443) avec la pratique du woyou (卧游, « rêver couché dans son lit ») (Delahaye 1981) ou encore Guo Xi (1020-1090) avec celle de méditer et d’évoluer à son aise (遊 you) dans un paysage (voir Laureillard 2021) ? L’errance est-elle un voyage lent, comme les méandres d’une rivière ou bien un voyage effréné (旅遊 lüyou) (Ibid.) ? L’errance est-elle genrée ? (Miyazaki 2005).
On se demandera quel est le rôle des arts dans la diffusion des témoignages de l’errance : Produisent-ils une errance par procuration ? l’errance des objets ou des formes et leur recomposition hybride peuvent-elle être une métaphore de l’errance des sujets et des idées ? quelles formes artistiques permettent le mieux de produire ou de reproduire ce décentrement ?
Orientations possibles :
Modalités
Le colloque aura lieu à l’INHA à Paris. Les communications d’une durée de 30 minutes suivies de 10 minutes de questions devront être originales. Les propositions devront parvenir au comité scientifique au plus tard le 31 décembre 2024 à secretariat@asie-sorbonne.fr
Bibliographie
Bergez, Daniel (17 déc. 2020). « Gao Xingjian, de l’exil à l’“errance” ». Quinzaine (1231). https://www.la-nouvelle-quinzaine.fr/mode-lecture/sommaire-1251
Cheng, François (2012). Quand reviennent les âmes errantes, Paris, éd. Albin Michel.
Delahaye, Hubert (1981). Les Premières Peintures de paysage en Chine : aspects religieux. Paris, Publications de l’École française d’Extrême-Orient, vol. CXXIX. [Contient le texte original et une traduction de l’Introduction à la peinture de montagne et eaux (Hua shanshui xu畫山水序) de Zong Bing.
Glissant, Édouard (2009). Philosophie de la relation : poésie en étendue. Paris, éd. Gallimard. https://www.bnfa.fr/livre?biblionumber=58229.
Kim, Sat Gat (2008). The selected poems of Korean minstrel Kim Sat Gat, traduit et annoté par Yong Hee Chung, Victoria, Trafford.
Laureillard, Marie (mai 2021). « Le voyage dans l’œuvre du peintre taïwanais contemporain Lo Ch’ing ». Carnets de l’École Doctorale – 124 Sorbonne. https://124revue.hypotheses.org/6149
Lee, Ji-Eun (2023), « “I am a wanderer”: Paek Sinae (1908-1939) and writing travel », in Sungkyun Journal of East Asian Studies, 23 (1): 95–114. https://doi.org/10.1215/15982661-10336312.
Lim, Susanna (2022). « Dual homeland: Cho Myŏng-hŭi and the origins of Koryŏ Saram literature », in Korean Studies, 46:317–344. https://doi.org/10.1353/ks.2022.0012.
Lu Xun (2004 [1926]). Errances (trad. Jacques Meunier). Paris, éd. You Feng.
Miyazaki, Fumiko (Automne 2005). « Female pilgrims and Mt. Fuji: Changing perspectives on the exclusion of women ». Monumenta Nipponica 60 (3) : 339–391. https://www.jstor.org/stable/25066386
Perec, Georges (2000 [1974]). Espèces d’espaces. Paris, éd. Galilée. http://www.editions-galilee.fr/f/index.php?sp=liv&livre_id=3027.
« Personhood in Classical Indian Philosophy » (2022). Stanford Encyclopedia of Philosophy. https://plato.stanford.edu/entries/personhood-india.
Reader, Ian et Shultz, John (2021). Pilgrims until we die: Unending pilgrimage in Shikoku. Oxford, Oxford University Press.
Saussy, Haun (2024). « Le Chemin de l’exil, tournant décisif chez quelques poètes de la Chine classique ». [Conférence au Collège de France. 25 juin 2024]. https://www.college-de-france.fr/fr/agenda/conferencier-invite/le-chemin-de-exil-tournant-decisif-chez-quelques-poetes-de-la-chine-classique-0.