đ Lundi 30 mai 2022
đ campus Condorcet
AprÚs le succÚs du premier Café des lauréats ERC, une deuxiÚme rencontre s'est déroulé le 30 mai.
A cette occasion nous avons pu rencontrer Alice TRAVERS, porteuse du projet ERC TibArmy, qui a accepté de répondre à nos questions.
Projet 3 - TibArmy :
1. Pouvez-vous en quelques mots vous présenter et nous dire de combien de personnes se compose votre équipe de projet ERC ?
"Je suis chercheuse en histoire au CNRS, spĂ©cialiste du Tibet. Mon laboratoire est le Centre de recherche sur les civilisations de lâAsie orientale (CRCAO, UMR 8155), hĂ©bergĂ© au CollĂšge de France. LâĂ©quipe du projet TibArmy (« The Tibetan Army of the Dalai Lamas, 1642-1959 ») est composĂ©e de 12 personnes : deux ingĂ©nieurs et dix chercheurs dont deux post-doctorants."
2. Avez-vous présenté le projet seul ou en équipe et sous quelle catégorie (Starting, Consolidator ou Advanced) ? Si oui, comment avez-vous composé votre équipe de recherche pour mener à bien ce projet ?
"Jâai prĂ©parĂ© et prĂ©sentĂ© le projet seule, avec le soutien de collĂšgues de mon Ă©quipe et de la direction de mon laboratoire. LâannĂ©e prĂ©cĂ©dant son dĂ©pĂŽt, dans la catĂ©gorie Starting Grant, jâai contactĂ© des collĂšgues qui pouvaient ĂȘtre intĂ©ressĂ©s par cette thĂ©matique dâhistoire militaire ou qui avaient une compĂ©tence particuliĂšre sur un type de sources ou sur un aspect de lâhistoire du Tibet pertinents pour le projet. Je leur ai proposĂ© de participer comme post-doctorant du projet ou comme chercheur « associĂ© » au projet (pour ceux qui Ă©taient dĂ©jĂ employĂ©s ailleurs), chacun fournissant un court descriptif de sa contribution particuliĂšre. L'Ă©quipe rassemble au final, outre deux ingĂ©nieurs recrutĂ©s en France et un chercheur de mon Ă©quipe, des collĂšgues dâAllemagne, de Grande-Bretagne, des Ătats-Unis, dâInde et du Japon."
3. Pouvez-vous nous présenter votre projet ERC en quelques mots ?
"Le projet TibArmy avait pour objectif principal de remĂ©dier Ă une lacune historiographique importante, en Ă©tudiant, pour la premiĂšre fois, lâhistoire de lâarmĂ©e tibĂ©taine sous le gouvernement bouddhique des DalaĂŻ-lamas, quâon appelle aussi le Ganden Phodrang et qui a rĂ©gnĂ© sur la majeure partie des territoires tibĂ©tains (Ă lâexception dâune partie du Tibet oriental) pendant trois siĂšcles, de 1642 Ă 1959. Cette pĂ©riode a vu lâapparition de la premiĂšre armĂ©e de mĂ©tier tibĂ©taine, hĂ©ritiĂšre dâune culture militaire ancienne (depuis la pĂ©riode conquĂ©rante de lâEmpire tibĂ©tain du VIIe au IXe siĂšcle), cette armĂ©e permanente se stabilisant dans sa taille et son organisation interne au cours du XVIIIe siĂšcle.
La mĂ©thodologie, inspirĂ©e de la Nouvelle histoire militaire, prenait en considĂ©ration le fait militaire dans une approche multidimensionnelle, en abordant ses aspects sociaux, Ă©conomiques, politiques, lĂ©gaux, culturels et religieux, la question de lâinsertion de cette armĂ©e dans une culture bouddhique Ă©tant bien sĂ»r au centre de lâattention, pour comprendre comment lâarsenal religieux en gĂ©nĂ©ral, et rituel en particulier, se trouvait mis au service du projet militaire mais aussi pour comprendre comment les moyens militaires Ă©taient mis au service de la dĂ©fense du bouddhisme, argument ultime lĂ©gitimant de façon structurelle le recours de lâĂtat tibĂ©tain Ă la violence. Afin dâapporter un Ă©clairage sur les liens historiques entre construction de lâĂtat, religion et armĂ©e, ainsi que sur la situation gĂ©opolitique passĂ©e et actuelle du Tibet en Asie, le projet se focalisait Ă©galement sur le contexte multiculturel et historiquement âconnectĂ©â de cette armĂ©e tibĂ©taine (interactions avec les troupes mongoles, sino-mandchoues et britanniques stationnĂ©es au Tibet ; influence des modĂšles militaires mongol, sino-mandchou, puis japonais et britannique).
Le projet est structuré en cinq axes thématiques, chacun recevant des participations spécifiques à des degrés divers de la part des 12 chercheurs et ingénieurs du projet et donnant lieu à des conférences internationales et des publications individuelles ou collectives :
Histoire institutionnelle et sociale de lâarmĂ©e tibĂ©taine ; Influence des modĂšles militaires Ă©trangers ; IntĂ©gration de lâarmĂ©e dans le cadre bouddhique ; Histoire visuelle de lâarmĂ©e (avec une exposition photographique) ; Ălaboration dâun lexique en ligne tibĂ©tain-anglais-français de terminologie militaire.
Jâai Ă©tĂ© laurĂ©ate de lâERC fin 2015 et le projet a commencĂ© Ă lâautomne 2016, avec un financement dâ1,5 million dâeuros. Il sâachĂšvera en mars 2023."
4. Quâest-ce que ça change dâĂȘtre un projet laurĂ©at ERC par rapport Ă un projet de la recherche « normale » ? Est-ce un meilleur tremplin pour un projet ?
"Le cadre dâune ERC est un excellent tremplin pour un projet. Le candidat (puis laurĂ©at) expĂ©rimente une forme de libertĂ© intellectuelle permise par les moyens matĂ©riels mis Ă disposition et par la taille de lâĂ©quipe quâil peut ainsi rassembler : il devient possible de penser en amont une question de recherche de façon globale, avec une « voilure » scientifique que nâentravent par les limites contingentes sâimposant souvent Ă nos recherches, telles que le manque dâaccĂšs prĂ©visible Ă certaines (res)sources pour des raisons gĂ©ographiques ou encore lâabsence dâune compĂ©tence nĂ©cessaire Ă lâĂ©tude dâun point prĂ©cis mais pourtant indispensable Ă une bonne comprĂ©hension de lâensemble. Une fois dĂ©marrĂ©, lorsque ce projet initial Ă©volue au grĂ© des dĂ©couvertes scientifiques, des besoins nouveaux, voire des obstacles, lâERC offre une grande souplesse dans lâutilisation des ressources pour adapter au mieux la rĂ©ponse apportĂ©e aux questions initialement posĂ©es.
Le deuxiĂšme atout est finalement le degrĂ© de contrainte reprĂ©sentĂ© dâune part par la formalisation nĂ©cessaire au dĂ©pĂŽt du projet (qui pousse Ă formuler ses objectifs, ses hypothĂšses de travail, la mĂ©thodologie et diffĂ©rents points dâĂ©tapes dans la production de la recherche de façon approfondie, aboutissant Ă une feuille de route trĂšs prĂ©cise), et dâautre part par le calendrier et les livrables sur lesquels on sâengage, qui se rĂ©vĂšlent de puissants facteurs de motivation dans la mise en Ćuvre du projet."
5. Que tirez-vous de ces annĂ©es de recherches, quâavez-vous appris ?
"LâexpĂ©rience a Ă©tĂ© extrĂȘmement riche sur diffĂ©rents plans : sur le plan scientifique pour commencer, mais finalement comme dans nâimporte quel projet de recherche, avec financement propre ou non, lorsquâil se dĂ©roule sur une durĂ©e suffisante, avec son lot de dĂ©couvertes espĂ©rĂ©es ou inattendues et dâimpasses qui poussent Ă retravailler les questionnements initiaux et en explorer de nouveaux.
Câest aussi sur le plan humain que ces annĂ©es de recherche ont Ă©tĂ© enrichissantes, au niveau de lâexpĂ©rience, nouvelle lorsque jâai commencĂ© le projet, de la direction dâune Ă©quipe et de lâanimation dâaxes collaboratifs et de la fĂ©conditĂ© de ce travail collectif, grĂące Ă lâinvestissement et Ă la qualitĂ© du travail des membres du projet."
6. Si demain vous Ă©tiez amenĂ© Ă travailler sur un projet de mĂȘme ampleur, quâest-ce que vous feriez diffĂ©remment ?
"Je prendrais en compte de façon plus rĂ©aliste le temps inhĂ©rent et nĂ©cessaire Ă la direction des axes collectifs et au travail collaboratif, ainsi quâĂ la mise en place administrative des diverses facettes du projet, que jâavais au dĂ©part sous-estimĂ©."
7. Depuis le moment oĂč vous avez proposĂ© ce projet jusquâĂ aujourdâhui, est-ce que lâobjectif de votre recherche a changĂ©/Ă©voluĂ© ?
"Le travail sur les diffĂ©rents axes thĂ©matiques a produit de nouvelles questions auxquelles il a fallu rĂ©pondre, comme par exemple des questions sur lâĂ©volution de lâarmement et sur la chronologie des guerres, qui nâavaient pas Ă©tĂ© inclues au dĂ©part mais qui se sont rĂ©vĂ©lĂ©es indispensables Ă une bonne comprĂ©hension des autres aspects de lâhistoire militaire du Tibet.
Certains rĂ©sultats ont permis dâaffiner notre comprĂ©hension non seulement des questions militaires mais aussi de lâhistoire du Tibet plus gĂ©nĂ©ralement.
Pour donner deux exemples prĂ©cis, lâĂ©tude du systĂšme de recrutement par la « taxe militaire » contribue Ă une meilleure comprĂ©hension de lâhistoire de lâimpĂŽt en gĂ©nĂ©ral ; ou bien encore, de façon plus inattendue, lâĂ©tude des rĂ©formes militaires du dĂ©but du XXe siĂšcle dans les sources Ă©crites ainsi que lâĂ©tude de lâĂ©volution des uniformes et drapeaux dans les sources photographiques invitent toutes deux Ă rĂ©Ă©valuer Ă la hausse lâampleur de lâinfluence japonaise au Tibet avant que lâhĂ©gĂ©monie britannique ne sâimpose."
8. Est-ce que le COVID a changé quelque chose dans votre travail ?
"Par chance, le projet ayant dĂ©butĂ© en 2016, la majoritĂ© des terrains, rĂ©unions de projets, confĂ©rences internationales et post-doctorats sous contrat avait dĂ©jĂ Ă©tĂ© effectuĂ©e avant mars 2020. Cependant, en raison de la fermeture des musĂ©es et de la difficultĂ© dâaccĂšs aux collections pendant les divers confinements dans diffĂ©rentes parties du monde, la crise du Covid a provoquĂ© un retard important sur lâaxe dâhistoire visuelle du projet (Ă©tude des photographies de soldats tibĂ©tains et prĂ©paration dâune exposition) qui avait Ă©tĂ© placĂ© en dernier dans le calendrier. Jâai donc demandĂ© et obtenu une prolongation de 18 mois pour pouvoir finaliser cet aspect.
Lâexposition itinĂ©rante (intitulĂ©e « Marching into View: the Tibetan army in historic photographs ») a finalement pu ĂȘtre organisĂ©e en juillet 2022 Ă lâuniversitĂ© de Prague. Elle sera Ă©galement montrĂ©e Ă lâautomne en Inde et lâhiver prochain sur le Campus Condorcet."
đPlus dâinformations sur TibArmy
Les cafés des lauréats ERC c'est quoi ?
LancĂ© par les GIS Asie, Etudes Africaines et Moyen-Orient et Mondes Musulmans, ce rendez-vous, destinĂ© Ă devenir rĂ©gulier, se veut un espace dâĂ©changes sur lâune des trois aires culturelles, entre les porteurs de projets ERC.
Au cours de cette rencontre destinée aux échanges informels, les participants ont échangés sur les bonnes pratiques et les difficultés communes rencontrées. Différentes thématiques ont également été abordées telles que la gestion, la communication ou les humanités numériques, dont se sont déjà emparées les GIS avec le Consortium DISTAM (DIgital STudies on Africa, Asia and the Middle-East).
Ces différents sujets seront abordés plus précisément lors des prochains cafés des lauréats ERC.