Cycle de conférences ASH-SEA, deuxième semestre 2024-2025

L’Atelier Asie du Sud-Himalaya – Sud-Est Asiatique (ASH-SEA) du Laboratoire d’Ethnologie et de Sociologie Comparative (Lesc, Nanterre) a pour ambition de réunir des spécialistes de l’ « aire culturelle » ainsi déterminée en privilégiant les discussions comparatives. 

Olivier Évrard | Stephen Huard | Nicolas Lainé | Catherine Scheer
Organisé par
Antoine Briand | Nicolas Prévot | Anne de Sales | Anne Yvonne Guillou
MAR - JUN 2025
MSH Mondes, bâtiment Ginouvès, Université Paris Nanterre - Lesc - salle 308 F
Dômes toxiques et relations sociales : une anthropologie de l’air pollué en Asie à partir de Chiang Mai, Thaïlande

Olivier Évrard (IRD, Paloc), 6 mars 2025
"Dômes toxiques et relations sociales : une anthropologie de l’air pollué en Asie à partir de Chiang Mai, Thaïlande"

 La pollution de l’air en Asie atteint régulièrement des niveaux extrêmement dangereux. Les émissions automobiles, industrielles et agricoles s’agrègent en dômes toxiques et couvrent la plupart des mégalopoles et des régions rurales des piémonts himalayens durant la saison sèche. Identifié dès le début des années 2000 sous le nom de « nuage(s) brun(s) d’Asie », ce phénomène a été décrit comme la plus vaste zone polluée du monde : il s’étend six mois par an du Pakistan à la Chine en passant par l’Inde et l’Asie du Sud-est. Le niveau de concentration des polluants primaires y atteint des niveaux jamais mesurés, même durant le grand smog de Londres dans les années cinquante. Qualifiés dans les médias locaux d’« airpocalypse » (Pékin, 2012) ou de « chambre à gaz » (Delhi, 2022), ces épisodes de pollution atmosphériques sont responsables selon l’OMS de 4,2 millions de morts prématurées par an. Poison lent qui impacte la santé humaine à long terme (y compris in utero), la pollution atmosphérique exprime aussi la violence du système économique global : l’amélioration de la qualité de l’air en Occident depuis les années soixante n’a en effet été rendue possible que grâce à la relocalisation d’une grande partie des émissions de carbone vers l’Asie. 

Ma présentation prendra l’exemple de Chiang Mai en Thaïlande, qui est chaque année au printemps classée ville la plus polluée du monde -au même titre que Delhi ou Lahore à l’automne. Ici, une pollution saisonnière et ancienne, connue localement sous le nom de « saison des fumées », est devenue depuis une vingtaine d’années une crise politique et écologique majeure impliquant les différents groupes ethniques partageant leurs territoires, les autorités régionales, nationales et celles des pays voisins. Le cas est particulièrement intéressant pour une approche comparative entre Asie du Sud et du Sud-Est ainsi que pour une réflexion anthropologique sur les perceptions culturelles et les implications politiques de la pollution. Il montre comment un enjeu sanitaire s’inscrit dans une longue histoire d’inégalités, de conflits fonciers, de développement du capitalisme agraire et de représentations concernant les usages légaux et illégaux du feu. Il souligne aussi que l’ère du capitalisme global est un « pyrocène », une combustion du monde dans laquelle les émissions visibles et invisibles de carbone tout à la fois polluent les corps et renforcent les injustices.

Catherine Scheer (EFEO, Case), 3 avril 2025
"'Minorités ethniques autochtones' en lutte : Des politiques identitaires face à un développement disruptif au Cambodge"

La loi foncière de 2001 a introduit le terme générique de « minorités ethniques autochtones » dans le langage officiel du Cambodge, accordant à ces minorités le droit de revendiquer des titres fonciers collectifs. Alors que l’attribution de tels titres s’est avérée extrêmement lente et compliquée, lesdites minorités autochtones ont vu de larges pans de leurs terres boisées être engloutis par des projets de ‘développement’, souvent sous forme de concessions accordées par l’État à des entreprises privées. 
Cette présentation aborde comment des collectifs autochtones se sont approprié ce nouvel outil juridique et comment leurs façons de s’organiser en furent influencées. Pour réfléchir à la tension que ces minorités sous pression ont pu éprouver entre l’objectif déclaré de protection de leurs terres et la menace omniprésente de les perdre, je m’appuierai sur mes recherches avec des habitants Bunong de Mondulkiri ainsi que sur les travaux de collègues impliquant des collectifs Tampuan, Jarai et Kachok à Ratanakiri, Kui à Preah Vihear et Kratie, et Bunong à Stung Treng. Je donnerai d’abord un aperçu du cadre juridique qui entoure la notion de « minorité ethnique autochtone » et des organisations autochtones qui ont émergé à sa suite, au fil des dernières deux décennies. Ensuite, je focaliserai l’attention sur des luttes locales face à la déforestation, aux monocultures et aux barrages hydroélectriques. Il s’agira d’illustrer la complexité de ces efforts de résistance et de montrer la fierté, les espoirs, mais aussi les risques d’exclusion et la désillusion qu’ils peuvent générer.  

Nicolas Lainé (IRD, Paloc), 15 mai 2025
"Construire son savoir avec les animaux. La coévolution des Lua (Prai) et des buffles dans la Province de Nan (Thaïlande)"

Stephen Huard (IRD, Sens), 05 juin 2025
"Batailles pour les terres, clientélisme et impunité au Myanmar"

Comment les personnes vivant sous un régime autoritaire cherchent-elles à obtenir réparation pour les dépossessions qu'elles ont subies ? Dans un contexte où la légalité formelle est absente, où le système judiciaire a été démantelé et où l'exécutif contrôle les espaces disponibles pour demander justice, quel type de lutte faut-il mener pour récupérer ses terres ? Cette présentation s’intéresse à la manière dont des agriculteurs des basses terres du Myanmar ont tenté, dans les années 2010, de récupérer les terres qui leur avaient été confisquées par la force par l'État militaire. Elle se concentre sur le township de Kanbalu, situé dans les terres arides du centre du pays. Lors de la transition politique vers une démocratie disciplinée, le gouvernement a ouvert la voie à la restitution des terres confisquées à leurs « propriétaires d'origine » (mula-paing-shin). De nombreux agriculteurs dépossédés, s'identifiant comme des propriétaires d'origine, ont commencé à réclamer leurs terres et, parallèlement aux quelques voies de recours existantes, des « batailles pour la terre » (htun-doun daiqpwe) ont vu le jour. Elles consistaient à réoccuper les terres confisquées en les labourant, souvent en silence. Il s'agissait d'une forme de mobilisation politique en dehors de la médiation habituelle des détenteurs du pouvoir local et dénonçant les accords de métayage conclus entre ces derniers et les paysans qu'ils avaient engagés pour travailler les terres confisquées. La plupart de ces batailles ont échoué et les tribunaux ont régulièrement criminalisé les paysans mobilisés. Mais elles constituent un épisode important de la lutte contre l'impunité de l'État dans un moment historique d'enquête sur la manière dont les terres avaient changé de mains au cours des décennies précédentes. Les demandes de restitution des terres ne visaient pas seulement à réparer les préjudices subis. Au milieu des procès, des lettres de plainte et des menaces de violence, ces batailles pour les terres étaient un moyen de transformer une forme d'antériorité en une revendication à exister comme sujet politique pour demander justice dans une configuration clientéliste du pouvoir.

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Dômes toxiques et relations sociales : une anthropologie de l’air pollué en Asie à partir de Chiang Mai, Thaïlande
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21 allée de l'université. Nanterre 92000.