JE Le cinéma sud-coréen et les femmes : les femmes devant, sur et derrière l’écran

Une journée d’étude intitulée « Le cinéma sud-coréen et les femmes : les femmes devant, sur et derrière l’écran » se tiendra à La Rochelle les 13 et 14 mars 2024.

Organisé par
D2iA La Rochelle
co-financé par le GIS Asie
13-14 mars 2024
La Rochelle Université

En France, bien que le cinéma sud-coréen soit régulièrement appréhendé à travers le prisme de ses personnages féminins ou celui de la singularité des rapports homme/femme, la question du genre n’a donné lieu qu’à des analyses périphériques. Circonscrites à des rôles d’héroïne marquants, comme celui de La Vierge mise à nu par ses prétendants (Hong Sang-soo, 2000) commenté par Adrien Gombeaud1, ou à quelques figures de réalisatrices ou d’actrices (le récent Dictionnaire du cinéma coréen d’Antoine Coppola, qui revient sur la décennie 2010, ne consacre que deux entrées à des réalisatrices et onze à des actrices2), ces études ne semblent pas avoir pris la mesure de l’importance des femmes dans cette filmographie en plein essor. Alors que les outils d’analyse proposés aux études cinématographiques par les gender studies (de Laura Mulvey à Geneviève Sellier ou Iris Brey) ont bientôt cinquante ans, cette invisibilité tenace mérite d’être interrogée. Comme cette journée d’étude souhaiterait le montrer, le cinéma sud-coréen se prête en effet aussi bien à l’analyse de l’évolution du traitement des personnages féminins dans les récits filmiques qu’à l’étude des trajectoires des femmes évoluant dans les divers milieux professionnels du cinéma (industrie, festival, critique…).

Progressivement mis en lumière au début des années 1990 par des festivals (Deauville, Nantes, Vesoul) et une rétrospective au Centre Pompidou, les longs métrages sud-coréens n’ont cessé, depuis le début des années 2000, de bénéficier d’une diffusion toujours plus importante et appréciée en France. Après la découverte de ce cinéma national à travers la filmographie de réalisateurs comme Im Kwon- taek, Hong Sang-soo ou Kim Ki-duk, l’accent a été rapidement porté sur des films de genres (thriller, action, horreur), participant de fait à construire une représentation parcellaire de la production locale qui compte pourtant nombre de comédies et de romances. Du côté de la critique journalistique, les revues spécialisées se sont fait le relais de cette perception biaisée (et masculine), en constituant des dossiers ou des numéros spéciaux aux genres ou aux auteurs ayant reçu une reconnaissance internationale3. Les spectateurs et spectatrices français, enfin, se sont fait la chambre d’écho de cet « espace de communication4 » : sur les forums, nombre d’internautes vantent dans leurs critiques la puissance transgressive du cinéma sud-coréen et de ses réalisateurs, tenus pour les nouveaux maîtres d’un cinéma de genre cherchant à faisant concurrence à Hollywood. Sans doute en raison de cette approche « auteuriste » et cinéphile, peu de place a pu être consacrée aux personnages féminins et aux réalisatrices.

Hors des frontières françaises, les gender studies consacrées au cinéma sud-coréen ont pourtant pris de l’importance dès la fin des années 1990, à travers deux préoccupations majeures : la représentation des questions de genre et de sexualités à l’écran et la représentativité des femmes dans l’industrie du cinéma. Si les décennies 1990 et 2000 ont notamment été marquées par l’étude de la représentation de la masculinité5 ou la construction historique d’un féminin stéréotypé6, plusieurs analyses se sont par la suite intéressées à la question de la violence exercée par les personnages féminins, comme celui de Mother (Bong Joon-ho, 2009), ou bien à la thématisation des violences sexistes et sexuelles vécues par les femmes sud-coréennes7. D’autres études, consacrées aux personnages féminins dans les mélodrames, les films d’horreur ou de science-fiction, ont interrogé la place des femmes au sein d’une société sud-coréenne en pleine mutation8.

D’autre part, la recension des femmes de l’industrie cinématographique en Corée du Sud s’avère elle aussi très nettement en défaveur des réalisatrices, techniciennes et productrices — ce dont plusieurs études commencent à retracer l’histoire9. Si, durant le XXe siècle, seulement neuf réalisatrices ont rencontré le public en Corée du Sud, l’émergence des femmes cinéastes est cependant particulièrement notable depuis la fin des années 2000. En 2007, sept nouvelles réalisatrices réalisent leurs premiers longs métrages ; elles sont treize en 2009. Plusieurs critiques de cinéma sud-coréen ont ainsi noté l’émergence d’une « nouvelle vague de films de femmes »10. Néanmoins, comme dans d’autres industries cinématographiques à travers le monde, il existe toujours un plafond de celluloïd en Corée du Sud. Kim Sook-hyun a par exemple souligné la limite des genres cinématographiques autorisés aux réalisatrices.

Selon elle, seuls les yŏja yŏnghwa (여자 영화, « films féminins » : c’est-à-dire les mélodrames, romances et autres films à petit budget) sont confiés à des réalisatrices, si bien qu’elles ne bénéficient jamais d’une reconnaissance importante11. Hong Sora pointe quant à elle le rôle qu’a joué l’inégale répartition du capital social et relationnel entre hommes et femmes au moment du renouveau du champ cinématographique dans les années 1990. Majoritairement constitués par des réseaux de cinéphiles masculins, ces milieux ont finalement exclu les femmes réalisatrices12.

La littérature académique sud-coréenne s’est cependant récemment tournée vers la place oubliée des femmes dans la réalisation des films, par exemple en étudiant les trajectoires des réalisatrices indépendantes13. Si la notion de « ciné-féminisme » date du début des années 1990, portée par des chercheuses comme Byeon Jae-ran, Kim So-young, Joo Jin-suk, ou Yu Gina, l’intérêt pour le féminisme s’est accru sensiblement dans le milieu académique à partir des années 2000. Celui-ci s’inscrit dans une dynamique portée par des festivals comme le festival international du film de femmes de Séoul ou celui du court-métrage Mise-en-scène , où émergent de jeunes réalisatrices. Toutefois, depuis les années 2010, un phénomène paradoxal s’observe : la montée de l’antiféminisme et de la misogynie (yŏsŏng hyŏmo,여성 혐오, « haine envers les femmes ») est devenue de plus en plus visible, en réaction à l’influence de mouvements qui, comme #MeToo, ont eu un impact considérable sur la société coréenne actuelle (selon l’expression de la critique féministe Sohn Hee Jeong, le féminisme est « rebooté » en 2015).

Partant de ce constat de l’actualité d’un questionnement sur la place des femmes au cinéma en Corée du Sud, il nous semble important de lancer en France une réflexion sur les questions de genre dans le cinéma sud-coréen. Les propositions de participation à ce colloque s’inscrivent dans l’un des trois axes :

  • Les femmes devant l’écran : études de la réception des spectatrices sud-coréennes, ou de la réception par les femmes du cinéma sud-coréen ; études de la cinéphilie des femmes en Corée du Sud…

  • Les femmes sur l’écran : études de la représentation des femmes dans les films ; études du parcours des actrices sud-coréennes ; études de la représentation de la féminité et des mouvements féministes (ou antiféministes)…

  • Les femmes derrière l’écran : études de la place des femmes dans le système de production du cinéma industriel ou indépendant ; place des réalisatrices, scénaristes ou productrices ; place de la critique féminine ou des festivals dédiés aux films de femmes…

Équipe d’organisation

  • Romaric Berland, Université Sorbonne-Nouvelle

  • Sejeong Hahn, Université Sorbonne-Nouvelle

  • Sora Hong, La Rochelle Université

  • Moduk Koo, Institut National des Langues et Civilisations Orientales

  • Frédéric Monvoisin, Université de Liège (Belgique)

  • Barnabé Sauvage, Université Paris Cité

Comité scientifique

  • Chloé Delaporte, Université Paul-Valéry

  • Stéphane Thévenet, Institut National des Langues et Civilisations Orientales

  • Giusy Pisano, École Nationale Supérieure Louis-Lumière

  • Gina Yu, Université Dongguk (Corée du Sud)

  • Dick Tomasovic, Université de Liège (Belgique)

Notes

1 Gombeaud Adrien, Séoul Cinéma. Les origines du nouveau cinéma coréen, Paris, L’Harmattan, 2006, p. 78-81.

2 Coppola Antoine, Dictionnaire du cinéma coréen, Paris, Nouveau Monde, 2021.

3 Mentionnons à titre d’exemple le numéro 597 (janvier 2005) des Cahiers du cinéma, dans lequel le dossier dédié au cinéma sud-coréen se compose de portraits de cinéastes comme Im Kwon-taek ou Kim Ki-duk, et d’un article consacré au « nouveau thriller » sud-coréen alors en plein essor. Voir Vincent Malausa, « Le nouveau thriller », Cahiers du cinéma, janvier 2005, no. 597, p. 29.

4 Odin Roger, Les espaces de communication. Introduction à la sémio-pragmatique, PUG, coll. “Communication en +”, 2011

Kim Kyung Hyun, The Remasculinization of Korean Cinema, London, Duke University Press, 2005. ; Jung Sun, Korean Masculinities and Transcultural Consumption : Yonsama, Rain, Oldboy, K-Pop idols, Hong Kong, Hong Kong University Press, 2011.

6 Kim Molly Hyo, “Genre Conventions of South Korean Hostess Films (1974–1982) : Prostitutes and The Discourse of Female Sacrifice,” Acta Koreana, vol. 17, no. 1, 2014, p. 455-477.

7 Park Jane Chi Hyun, “Fighting Women in Contemporary Asian Cinema,” Cultural Studies, vol. 27, no. 2, 2013, p. 242–256. ; An Ji-yoon, “The Korean Mother in Contemporary Thriller Films : A Monster or Just Modern ?,” The Journal of Japanese and Korean Cinema, vol. 11, no. 2, 2019, p.154-169.

8 Baek Moon-Im, Wŏlha ŭi yŏgoksŏng (Lamentations d’une femme sous la lune), Séoul, Ch’aek sesang, 2008. ; Kim Soyoung, “Questions of Women’s Film : The Maid, Madame Freedom, and Women,” in McHugh

Journée d'étude
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