Le SRAS, révélateur de l'état de santé du régime politique chinois

L'explosion récente autant que brève de l'épidémie de pneumonie atypique (bizarrement nommée « syndrome respiratoire aigu sévère ») a révélé que, malgré sa prétention à la modernité et à la rationalité, notre monde n'en avait pas fini avec les grandes peurs caractéristiques de la « mentalité médiévale ». Pendant quelques mois, tout Asiatique qui éternuait dans un lieu public faisait le vide autour de lui. Ces comportements irrationnels en disent long sur nos sociétés.
Mais comme toute crise, la récente épidémie surtout a jeté une nouvelle lumière sur le régime politique de la Chine, où s'est déclarée la maladie. Tandis qu'à l'issue du 16ème congrès du Parti communiste, les observateurs se félicitaient de la manière dont s'était effectuée la succession, qui avait vu l'accession au pouvoir d'une nouvelle génération de dirigeants plus « modernes », le SRAS est venu bouleverser ces analyses.
En premier lieu, la crise a montré que le parti communiste ne renonçait pas à son contrôle sur l'information. Ainsi, lorsqu'en novembre 2002 une maladie inconnue est apparue au Guangdong, certains journaux réputés pour leur audace en ont fait état. Mais après quelques jours, une circulaire du département de la propagande du comité provincial du Parti leur a interdit de parler de ce sujet. Et, le silence est retombé, ce qui révèle l'étroitesse de la marge de manœuvre des médias. Quand, en février 2003 le Nanfang Zhoumo de Canton a publié un article sur l'épidémie, la réaction des autorités a été encore plus vive : aucune information négative ne devant ternir la réunion des deux grandes assemblées qui allaient désigner le nouveau secrétaire général du Parti Hu Jintao président de la République, et nommer le nouveau gouvernement. Ce journal a donc été puni, et son directeur a été remplacé par le responsable de la propagande du comité provincial du Parti !
L'épidémie a également révélé que le maintien du secret reste au centre des méthodes de gouvernement du parti communiste. Quand la maladie s'est déclarée, la première réaction des autorités a consisté à dissimuler la crise pour éviter qu'elle ne suscite des troubles : à l'intérieur, l'affolement de citoyens qui auraient pu se plaindre du désintérêt croissant des autorités pour leur bien-être, et à l'extérieur, une perte de face de la République populaire qui était tout juste en train de retrouver sa place sur la scène internationale.
La crise a aussi montré l'ambleur du localisme qui a toujours existé en Chine mais que le système de contrôle de la population par le livret de résidence (hukou) mis en place par le parti communiste dans les années cinquante, a profondément renforcé. Une fois que les autorités ont annoncé que la ville de Pékin avait été particulièrement affectée par le virus, les villageois des alentours se sont mobilisés et, avec le soutien des autorités locales, ont multiplié les barrages, interdisant aux citadins d'entrer chez eux. La Chine s'est immédiatement transformée en une multitude de petites communautés fermées. Là encore, la crise n'a fait que révéler un travers toujours présent du régime.
La gestion de l'épidémie a montré que les luttes de factions continuent de caractériser le fonctionnement du régime : d'après les rumeurs circulant parmi les politologues de Pékin, tandis que les proches de l'ancien secrétaire général du Parti Jiang Zemin choisissaient de cacher la gravité de l'événement, les nouveaux venus, Hu Jintao et Wen Jiabao, ont décidé de jouer l'ouverture afin de renforcer leur légitimité et de présenter une image de modernité à la Chine et au monde. De même, le limogeage du maire de Pékin, un proche de Hu et du ministre de la santé, un proche de Jiang, n'est pas le signe que les fonctionnaires sont responsables devant le peuple, mais bien le résultat d'une lutte de factions.
Un autre élément est venu montrer que le régime ne change guère : une fois adopté le virage en faveur de la « transparence », c'est par une campagne politique contre le SRAS menée par le Parti en mobilisant tous les instruments de contrôle dont il dispose (comités de quartier, unités de travail etc.) que le pouvoir a lancé le combat. La dernière campagne de ce type (qui, du reste, dure encore), était celle que Jiang Zemin a lancée en 1999 contre les adeptes de la secte Falungong. Les autorités ont également accordé aux médias plus de liberté pour couvrir l'événement, mais, depuis la fin de l'alerte, elles ont amorcé une reprise en mains.
Enfin, le SRAS a montré un que le système de santé chinois est en crise, et les vingt cinq ans de réformes ont détruit pratiquement toutes les institutions fondées sur l'assurance sociale et la gratuité. Hôpitaux urbains et dispensaires ruraux n'admettent les patients que s'ils peuvent déposer une somme de 3000 yuans, ce qui représente plus que le revenu annuel de certains paysans. Dans ces conditions, les paysans et ouvriers, qui ne disposent pas de couverture sociale, préfèrent se soigner eux-mêmes (ce qui, explique en partie le succès des groupes de qigong tels que la Falungong). En cas d'épidémie, c'est plutôt inquiétant.
Toutefois, la crise a également révélé la permanence de traits positifs et des changements encourageants facilités par la globalisation.
En premier lieu, elle a souligné l'importance de Hong Kong. Bien que l'ancienne colonie ait subi de nombreux empiètements de la part de Pékin depuis 1997, elle a, fondamentalement, conservé son système social. Ce sont les médecins de Hong Kong, opérant au sein d'un système de type britannique, qui ont immédiatement alerté le monde, et notamment l'OMS sur la gravité de la maladie. Sans eux, il aurait fallu attendre longtemps pour pouvoir prendre les mesures appropriées, et forcer la Chine à admettre que le SRAS sévissait sur son sol. Ainsi, bien que la République populaire soit plus ouverte qu'autrefois, Hong Kong joue encore son rôle de révélateur de la réalité chinoise. La transparence pratiquée par la Région administrative spéciale ne lui a cependant rapporté que des ennuis, puisque l'interdiction prononcée par l'OMS de se rendre dans le territoire a affecté profondément son économie fondée sur les échanges et les services.
Un dernier élément encourageant : la crise du SRAS a montré l'efficacité croissante de la résistance de la société chinoise. Déjà, la crise du SIDA avait été révélée par des enquêteurs chinois, journalistes et médecins, qui s'étaient rendus dans la province la plus affectée du Henan. Aujourd'hui, c'est un médecin militaire d'un hôpital de Pékin, Jiang Yanyong, qui, au mépris des risques pour sa sécurité personnelle, a dénoncé le scandale de la dissimulation par les autorités de l'ampleur de l'épidémie de SRAS à Pékin. L'existence de personnalités courageuses qui osent apostropher les autorités n'est pas nouvelle. On en a vu tout au long de l'histoire de la République populaire. Ce qui est nouveau, c'est qu'une fois qu'elles se sont adressées à la presse internationale ou aux membres des organisations humanitaires présentes en Chine en dénonçant des problèmes causés par les autorités qui risquent d'affecter le monde entier, leur voix peut se faire entendre publiquement, et le gouvernement hésite à recourir à la répression. Voici un effet collatéral de la mondialisation qui peut, dans certaines circonstances, favoriser l'émergence, voire l'institutionnalisation d'une société civile en Chine. Ce phénomène reste certes circonscrit aux crises qui risquent d'affecter directement le monde extérieur, mais ce n'est pas négligeable.

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Le SRAS, révélateur de l'état de santé du régime politique chinois
juillet 2003
Jean-Philippe Béja
Directeur de recherche au CNRS/CERI