Mai 2015 - Le contrat Sino-RDC minier "du siècle " et la "constitution" du monde

Introduction

Le contrat dit «du siècle» signé le 28 avril 2008 entre la république démocratique du Congo (RDC) et un consortium d'investisseurs privés chinois a pour objet l'exploitation d'une des plus importante mines au monde. Ce contrat est un bon exemple du basculement juridique du monde, c'est à dire l'essor de nouveaux «espaces normatifs» construits par les acteurs privées (les entreprises transnationales) et les gouvernements de pays «subalternes» suivant une nouvelle «constitution du monde» théorisée par les instances Onusiennes. Ce contrat du siècle permet de «matérialiser» et de lire les principales clauses de cette nouvelle «constitution du monde».

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Thierry Michel, l'auteur de « Mobutu, roi du Zaïre » et de Congo River,
a réalisé Katenga business en 2009.
Le film retrace la négociation du contrat minier du siècle
en un récit qui est une parabole de la mondialisation.
Il permet de voir les acteurs globaux de ce contrat mais aussi les lieux d'extractions
et les populations locales, permettant ainsi de mieux comprendre la dimension humaine
des articles du contrat du siècle et de la « constitution du monde ».

1. Le nouveau «contrat social» mondial

Le texte suivant -l'article 1 du contrat- montre à la fois l'économie du contrat minier du siècle et le principe fondamental de la nouvelle «constitution» mondiale, dite de gouvernance tripartite.

Extrait de l'article 1 de l'accord-cadre

ARTICLE 1 : OBJECTIFS DES PARTIES
第一条双方的目的

1.1. Les Parties reconnaissent et déclarent qu'en signant la présente Convention de Collaboration, elles poursuivent la réalisation des objectifs suivants :
双方确认并声明,为民现以下目的签署本协议:

1.1.1. Pour la République Démocratique du Congo : trouver les ressources financières nécessaires à la réalisation d'infrastructures nationales estimées importantes et urgentes.
刚果民主共和国,寻求实施大型和紧急国家基建项目的必要资余来源。

1.1.2. Pour SINOHYDRO : investir dans le domaine des métaux non-ferreux.
中国水电,投资有色金属业。

1.2. Les deux Parties conviennent de coopérer comme suit pour réaliser, à la satisfaction de chacune d'elles, les objectifs sus mentionnés :
为实现上述目标,双方一致同意按如下方式合作:

1.2.1. SINOHYDRO s'engage à mobiliser et mettre en place le financement pour la construction des infrastructures de la République Démocratique du Congo (le « Projet d'Inf?astructures »). Le financement sera remboursé par les revenus de l'exploitation minière de tels gisements cupro-cobaltifères situés dans la région de Kolwezi, actuellement inexploités, de l'Entreprise publique La Générale des Carrières et des Mines, en abrégé « GECAMINES ». Les modalités concrètes du remboursement de ce financement sont définies dans le Titre IV de la présente Convention de Collaboration.
中国水电保证为刚果民主共和国的基础设施建设(基建项目〕调配资金井使其到位,该融资将以刚果矿业总公司(简称(( GECAMINES 川目前尚未开发的位于KOLWEZI 地区的铜钻矿采矿收入进行偿还.融资偿还的具体方式将在本协议第四章规定。

1.2.2. SINOHYDRO s'engage à mobiliser et mettre en place le financement pour le développement des gisements qui sont listés en Annexe A (« le Projet Minier »). Les modalités du remboursement de cet investissement sont définies dans le Titre IV de la présente Convention de Collaboration.
中国水电保证为附件A 中列明的矿床的开发项目(矿业项目〉调配资金并使其到位,该投资的偿还方式将在本协议第四章规定

Ce contrat est un contrat extractif de cuivre, ce minerai rouge qui a donné son nom a la région du Nord Est de la RDC, le «Kivu», et de diverses terres rares tel le Koltan, nécessaire à tous les équipements électroniques ou d'armement. Par ce contrat, le gouvernement de RDC a créé avec des entreprises chinoises une joint venture qui va exploiter commercialement cette mine, les bénéfices finançant directement des infrastructures publiques pour les populations de RDC (routes, chemin de fer, hôpitaux, etc.) réalisées par les entreprises chinoises.


Carte de la République démocratique du Congo.
La région du Kivu est marquée en rouge.
(© 2011 / Uwe Dedering & Profoss, sous licence Creative Commons)

Ce sont les chinois qui ont inventé ces contrats que l'on nomme désormais le «model-angolais», dit aussi R4I pour «Resource-for-Infrastructure», en aménageant les Productions Sharing Agreement (PSA) pétroliers imposés depuis les années 1960 par les pays en voie de développement aux sociétés internationales pétrolières. Or ces PSA ont eux même été créés par le gouvernement indonésien en s'inspirant des contrats agricoles locaux de sharecropping c'est à dire de métayage agricole par lequel un paysan pauvre donne sa terre à exploiter à un paysan sans terre contre un partage de la production.

Dans ces contrats pétroliers, la société pétrolière internationale apporte en effet l'essentiel du financement, l'État apportant le sous sol, et les bénéfices sont utilisés pour rembourser les frais nécessaires à la production puis sont partagés entre les deux parties. Un autre investissement - la construction d'infrastructures, etc. - a été simplement ajouté à l'investissement que constitue la mise en route d'un puits pétrolier. Le remboursement des deux investissements se réalise par le même moyen: la vente des produits de l'activité (pétrole ou mines) sur le marché mondial. Ce contrat d'un montant initial de 12 milliards de dollars a été conclu pour doter la RDC d'infrastructures. La RDC, premier «État internationalisé» au monde, a trouvé ainsi un moyen de sortir de sa dépendance envers l'Union Européenne, les États donateurs, et les institutions financières internationales.

Ces «Partenariats Public Privés » (les PPP) sont ainsi des contrats entre États et entreprises transnationales maillant contrats d'investissement, coopération et exploitation commerciale, suivant non plus les pratiques d'aide au développement mais le principe commercial « gagnant-gagnant».

Or ces contrats PPP, «partenariats» entre transnationales et organisations internationales ont été élevé au rang de concept politique central de la Gouvernance Mondiale par le Secrétaire Général des Nations Unis, Kofi Annan. Dans son très célèbre «discours de Davos» de 1999, Kofi Annan suggéra en effet aux dirigeants des grandes sociétés mondiales de conclure «un “contrat mondial” fondé sur des valeurs et des principes communs qui donneront un visage humain au marché mondial». Bref, un monde où la gouvernance mondiale réalise un «contrat social» construit dans la doctrine onusienne explicitement à l'image d'un PPP minier ou pétrolier, c'est à dire une gouvernance tripartite ONU, Entreprises Transnationales, Société civile (tripartite governance structure).

Ce sont ces nouvelles formes de droit global qu'un courant du droit public international tente de penser: le «global social constitutionalism».


Les grands contrats miniers exploités par des consortium d'entreprises transnationales
tel le contrat « du siècle » permettent de limiter le nombre de mines « illégales »
contrôlées par des guérillas qui forcent les populations locales à extraire les minerais
dans des conditions assimilable à de l'esclavage.
La mine de la photo, la mine de coltan de Luwowo, a été validée selon les normes CIRGL-RDC
qui assurent qu'elle n'est pas contrôlée par une guerilla.
La technique d'extraction, cependant, reste celle des mines illégales
et est très dangereuse pour les mineurs.
(© 2014 / MONUSCO Photos, sous licence Creative Commons)

2. Le pouvoir de créer des espaces politiques transnationaux

Le droit international est en effet en pleine transformation: techniquement, ces grands contrats sont des nœuds de contrats comprenant un contrat d'État (entre un État ou une institution mandatée et un groupe d'entreprises privées étrangères), un contrat de compensation (qui organise les investissements), des accords cadres (entre partenaires privés qui mettent en œuvre le contrat d'État et qui prévoient les accords à venir), des joint venture agreements (entre entreprises privées des deux pays qui réalisent le contrat), des joint venture company (qui créent des groupes de sociétés), et de nombreux contrats de droit privé d'application (contrat d'entreprise, vente, etc).

Et dans chacun de ces contrats, la loi applicable en vertu du «principe d'autonomie» résulte de la négociation entre les parties et chaque contrat peut désigner une loi nationale - voire différentes lois- comme loi applicable au contrat. Chaque contrat comprend ainsi une clause de choix de la loi - qui est le plus souvent une loi nationale -, dont le champ d'application peut être ainsi «déterritorialisé», et si le contrat du siècle contient une clause de choix de la loi de DRC, chacun des sous-contrat ou contrats de sous-traitance détermine sa propre loi.

Parfois le choix de la loi est réalisé par«incorporation», un critère d'origine anglo-saxonne, présent au Royaume Uni, aux Pays-Bas ou dans l'État du Delaware par exemple, selon lequel la loi applicable de la société est la loi du lieu de sa constitution, c'est à dire du lieu où les formalités d'incorporation ont été accomplies. Ce critère permet aux associés de choisir la loi applicable à la société en choisissant le lieu d'incorporation. Incorporée en Angleterre, elle sera soumise au droit anglais. Aux Pays- Bas, ce sera le droit néerlandais. Et ce, quel que soit le pays où l'entreprise exerce son activité. C'est ainsi que les statuts vont donc désigner le pays choisi comme le lieu du siège statutaire de la société.

Ainsi, les signataires chinois sont certes deux entreprises incorporées en chine populaire, soumise ainsi au droit chinois des sociétés proche du droit continental - francais- des sociétés, mais aussi trois sociétés filiales incorporées à Hong Kong, la China Railway Group (Hong Kong) Limited (中國中鐵(香港)有 限公司), la China Railway Resources Development Limited (中國中鐵資源開 發股份有限公司), et la China Railway Sino-Congo Mining Limited (中國中鐵華剛礦業 股份有限公司). Ces sociétés se sont ainsi soumises au droit de Hong-Kong, un droit des sociétés presque identique au droit anglais des sociétés, afin de pouvoir profiter du marché financier mondial qu'est la bourse de Hong-Kong.

Mais ce n'est pas seulement le choix de la loi par les «marchands» qui est organisée dans cette nouvelle «constitution mondiale», c'est aussi le choix du juge - Étatique ou privé- qui relève de la liberté des parties. Dans le contrat du siècle, les chinois, conformément aux traditions et à la conception chinoise inscrite dans la loi de 1989, ont souhaité que des «négociations» s'ouvrent avant tout autre règlement du litige.

Extrait de l'accord-cadre

ARTICLE 20 : REGLEMENT DES DIFFERENDS A L'AMIABLE
第二十条 协商解决争议

Tout différend -relatif à l'interprétation et à l'exécution de la présente Convention de Collaboration doit être réglé en priorité par des discussions amiables entre les Parties.
缔约双方对本协定的解释或者履行所产生的争端, 应当首先通过各方的友好协商方式解决。

Mais si le désaccord persiste, le contrat prévoit le recours à un arbitrage privé administré par le Centre International pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements (CIRDI) crée en 1965 afin de promouvoir les investissements internationaux en offrant un forum neutre -non national- pour le règlement des différends. L'entreprise -ici les entreprises chinoises de chine populaire et de Hong Kong- se voit désormais reconnaître un droit de recours direct contre l'État étranger - la RDC - par le biais d'une action autonome, sans que son État de nationalité (la Chine) n'ait à agir en son nom par le mécanisme traditionnel de la protection diplomatique.

Extrait de l'accord-cadre

ARTICLE 21 : ARBITRAGE
第二十一条 仲裁

Tout différend n'ayant pas été réglé dans les six mois qui suivent ces discussions amiables, à la demande de l'une des Parties, ce différend sera soumis à l'arbitrage de CIRDI (Centre international pour le règlement des différends relatif aux investissements) selon ses règles.
如在六个月内不能友好协商解决争端, 根据缔约任何一方的要求,可以将争端提交国际投资争端中心仲裁庭根据其仲裁规则进行解决。

Trois arbitres (personnes privées -professeurs de droit, avocats...) vont alors rendre une sentence arbitrale dont la force sera supérieure à une décision de justice étatique, car sans recours possible des États. Tous les États contractants au traité de Washington instituant le CIRDI, qu'ils soient parties ou non au litige, doivent en effet reconnaître et appliquer les sentences arbitrales CIRDI.

Conclusion

Cette nouvelle constitution mondiale permet ainsi à des personnes privées de créer des «espaces normatifs» transnationaux se superposant aux espaces juridiques étatiques ou inter-étatiques. L'ensemble des catégories traditionnelles des sciences juridiques doit en conséquence être repensé en contexte de mondialisationpour penser ces nouveaux espaces normatifs au carrefour du politique et de l'économique (la territorialité de la loi, les règles de conflit de loi et de juridiction, la localisation, l'ordre public, la représentation, etc.). Et c'est entre la Chine et l'Afrique que ces nouveaux espaces normatifs sont les plus exemplaires de cette mondialisation en marche.

Gilles Lhuilier
Gilles Lhuilier est Agrégé des facultés de droit,
Professeurà l'Ecole Normale Supérieure - Rennes,
Visiting professor à l'Essec Paris-Singapour,Responsable scientifique
du programme de la FMSH sur la mondialisation du droit,
expert auprès de la Commission de l'Union Européenne,
directeur du livre collectif «Le contentieux extractif»,
éditions de la Chambre de Commerce Internationale, publié les 8/9 juin 2015,
jours du colloque international consacrée au droit extractif co-organisé par la CCI et la FMSH.


Page d'accueil du site du CIRDI, l'organisme désigné par l'accord pour le règlement des différends

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Couverture
mai 2015
Gilles Lhuilier
Professeur de Droit, Ecole Normale Supérieure de Rennes