Eau, écosystèmes et développement durable en zones aride et semi aride

Sahara, Kalahari, Namib, Sinaï, Kara koum , Rub al Khali, Lut, Thar, Taklamakan, Gobi, Chihuahua, Great Basin, Mojave, Colorado, Atacama, Great Sandy, Simpson…

Diffusées par les médias, de splendides images de paysages d'un «univers minéral » …. frappent notre imagination. Des images fortes d'horizons infinis, silences effrayants, vents de sable, vallées mortes… De temps à autre, des découvertes archéologiques exceptionnelles (Tumaï au Tchad) rappellent à notre mémoire, la profondeur historique de ces espaces supposés vides. Appuyée par les techniques les plus modernes de télédétection, ces présentations cachent la diversité de ces espaces, de leur vie végétale, animale et humaine, présente et passée.

Le désert est un mythe en Occident qui couvre un vaste champ de l'absolu, de l'infini, de la réflexion, « miroir de l'âme », une double dimension qui commence par l'espace et nous amène à une réflexion philosophique. Le désert est dans la Bible espace géographique et lieu de la relation entre Dieu et l'homme 1 ; il est cadre réel et symbolique de l'Islam…Artistes, écrivains, philosophes « visitent » le désert. ..(Delacroix, Flaubert, Maupassant, Saint John Perse, Camus, I Eberhardt, Tahar Ben Jelloun, Charles de Foucauld2)
Mais il représente aussi le vide : ne parle-t-on pas du « désert » politique, culturel, artistique.Réels ou imaginaires, les sens du désert n'ont cessé de s'élargir au fur et à mesure que la science comprenait mieux leur fonctionnement. A commencer par Hérodote qui déjà au Vème siècle av JC Hérodote évoque une armée qui « disparaît dans le désert »…suivi par Alexandre ou Marco Polo. Face au mythe, les sociétés du désert marquent d'un empreinte bien concrète notre civilisation à commencer par Gengis Khan…

Ne minimisons pas l'importance humaine des déserts et n'oublions pas que l'hominisation s'est faite sur ses bordures dans des steppes ouvertes
La première agriculture a pris naissance entre le « trop » de la forêt et le « trop peu » du désert. Dans ces agricultures du soleil avec des étés longs et chauds, la clé du succès est l'irrigation développée sur les bords des grands fleuves, Indus, Tigre, Euphrate, Tarim…C'est toujours un tour de force et l'expression du génie humain : dérivations, canalisations, barrages, galeries souterraines de captage, puits, dispositifs d'exhaure, galeries drainantes d'Iran et de Chine comme celles du Taklamakan où les glacis alluviaux abondent au pied des montagnes. Ces ouvrages d'art se répandront vers l'ouest et toucheront l'Afrique du nord (foggara), l'Espagne pour repartir en Amérique hispanique …

L'homme s'adapte aux rigueurs du milieu et sa survie réside dans sa mobilité. Il est nomade, il mène ses animaux vers l'eau rare de surface, en quête de pâturage. Son territoire est maillé par les oasis, véritables ports pour les échanges et les rencontres3

Voyageurs, explorateurs et scientifiques investissent les déserts dès le XIXème siècle tout comme les industriels qui tentent de percer leurs secrets : relier le « Grand Désert », est l'objectif d'un projet inachevé de chemin de fer « transsaharien » ; il sera suivi d'une« croisière noire»4 et de la Croisière jaune (1931) qui à travers l'Asie passait par le Takla-Makan et le désert de Gobi5 et récemment le pétrole…

Des régions qualifiées d'infranchissables s‘ouvraient progressivement aux missions scientifiques…Au XXème siècle citons Théodore Monod, le savant naturaliste dont le Sahara occidental fut le lieu d'expérimentation d'une approche globale : faune, flore, géologie, géomorphologie, climatologie, préhistoire, archéologie…Il est certainement un de plus grands naturalistes capable d'appréhender un biotope dans toutes ses dimensions avec une culture scientifique « transversale, quasi universelle, et à la croisée de toutes les disciplines»6

- le désert et l'eau

En cette année internationale des déserts, l'heure est au bilan des connaissances, à une évaluation des savoirs et des pratiques qui permet de faire le point sur nos travaux et nos méthodes tout en s'ouvrant aux problèmes prioritaires de nos sociétés.

Dans une perspective du développement durable, l'objet eau en zones aride et semi aride constitue une « entrée » privilégiée pour l'analyse et fournit un cadre exceptionnel pour établir des orientations futures.

Le panorama de l'eau aujourd'hui se caractérise à la fois par une mutation et une internationalisation croissante. La mutation est d'abord institutionnelle tant en ce qui concerne la ressource et les différents usages que l'on en fait (agricole, industriel, domestique). Cette mutation va de pair avec une prise en considération croissante des questions environnementales. L'internationalisation réside avant tout dans la mondialisation de la question de l'eau, même si la gestion est l'apanage des Etats. La problématique et les enjeux sont appropriées par les instances internationales et l'or bleu s'impose dans la conscience collective comme la denrée la plus convoitée du XXIème siècle avec en toile de fond la menace des « guerres de l'eau ». La suprématie de « l'amont » des cours d'eau a, depuis des millénaires, été comprise par les hommes qui savent que le pouvoir réside dans la maîtrise de cette ressource vitale.

Dans les zones arides et semi-arides, l'eau n'échappe pas à ces enjeux planétaires mais elle présente des particularités significatives.

Près d'un tiers de la superficie de la planète est en zone aride ou semi aride et plus d'un milliard de la population mondiale habite dans ces zones qui conjuguent forte croissance démographique, pauvreté et mortalité infantile7.
Urbanisation, industrialisation et agriculture intensive se sont beaucoup développées dans ces différentes régions sans toujours prendre en compte la fragilité des écosystèmes secs et les limites des ressources disponibles. Salinisation des eaux et des sols, pollution, désertification accélérée depuis trente ans témoignent de la crise actuelle.

Les plus grandes civilisations du monde comme celles de l'Asie centrale et du Moyen orient ont prouvé grâce à l'invention de techniques adaptées (karez en Chine ou qanât en Iran) qu'il était possible de vivre et de mettre en valeur un milieu aride. Ces techniques constituent des savoirs locaux qu'il s'agit de préserver et d'adapter aux nouvelles contraintes environnementales ainsi qu'à celles imposées par les sociétés modernes.

- la Conférence internationale

Conférence internationale « Eau, ecosystèmes et développement durable en zones aride et semi aride »
9-15 octobre 2006 Université du Xinjiang Chine

Organisée par Université du Xinjiang Chine, Université de Téhéran Iran et Ecole Pratique des Hautes Etudes France

La conférence organisée par l'Université du Xinjiang, l'Université de Téhéran et l'Ecole Pratique des Hautes Etudes sur la question de l'eau en zones aride et semi-aride a comme objectifs :
- d'établir un état des lieux de la ressource
- de proposer un panorama des évolutions des techniques et pratiques agricoles
- d'analyser la relation homme / eau dans une perspective historique

Les trois centres académiques partent d'une hypothèse commune forte : seule une approche interdisciplinaire associant sciences naturelles, sciences physiques, sciences de l'érudition, sciences humaines et sociales est en mesure d'articuler les différentes échelles et interactions que suscite la question de l'eau en zone aride et semi aride.

Autre élément privilégié de cette collaboration scientifique, le fait que les trois établissements universitaires partagent des thèmes de recherche communs : l'eau d'abord, la modélisation et les bases de données, la télédétection, les techniques nouvelles d'irrigation…

Les ateliers

A titre d'exemple, voici quelques questions qui seront abordées dans les différents ateliers composés de plusieurs sessions étant donné le nombre des participants :

1) Le premier atelier, Eau et environnement qui a comme objectif « d'établir un état des lieux de la ressource » a suscité de nombreuses réponses concernant le changement climatique et ses relations avec la ressource (notamment sur les eaux souterraines, les questions de salinisation, etc). Une centaine de communications et de posters développent des schémas de modélisation ou des travaux utilisant des techniques spatiales. Ces communications sont proposées par des centres de recherche du monde entier.
Parmi les questions suscitées par ces analyses nombreuses concernent le devenir des sols mal drainés qui entraînent la salinisation des eaux et la stérilisation des terres devenues irréversible (bassin du Tarim). Ce phénomène n'est-il pas accentué par l'absence d'évacuation des polluants qui s'accumulent dans certains bassins hydrographiques en Inde ou au Rajasthan par exemple ?

2) Le second atelier, Pratiques agricoles qui propose un panorama des évolutions des techniques et des pratiques a suscité de très nombreuses contributions. Parmi les sujets traités par les chercheurs on retiendra le devenir des grands aquifères surexploités pour une agriculture intensive, celle du blé par exemple, destinée à l'exportation et inadaptée aux besoins locaux et qui met en jeu l'avenir de cette réserve non renouvelable.

Dans cet atelier il sera également question de l'eau virtuelle. Est-ce la nouvelle eau de demain ? Y a-t-il une stratégie mondiale dans le transfert de cette ressource ?

3) Le troisième atelier Eau et civilisation est dédié à « la relation homme / eau dans une perspective historique ». Il réunit des contributions d'historiens travaillant sur les techniques ancestrales, spécialistes des civilisations anciennes, de géographes, de juristes Il sera question aussi d'architecture et infrastructures hydrauliques, technologies traditionnelles et pratiques culturelles.

Au cœur des débats se trouve la « route de la soie » que l'on pourrait aussi appeler la « route de l'eau » qui permettait de relier l'Occident à l'Asie. Quant à l'évolution des idées, l'atelier sera amené à débattre sur la relation entre maîtrise de l'eau et émergence de l'Etat, débat qui depuis les années 30 suscite l'intérêt des archéologues, anthropologues8.

4) Enfin, l'atelier Enjeux futurs et prospectives porte sur les grandes orientations mondiales de la gestion de l'eau.

Cet atelier traitera de l'organisation de la gestion de l‘eau au plan international, national et local ainsi que des modalités institutionnelles nouvelles (régulation) et des concepts qui prennent en compte la dimension environnementale (gestion patrimoniale, biens publics mondiaux9).
Les débats de cet atelier illustrent les enjeux économiques, sociaux, environnementaux et politiques autour de l'eau dans le contexte critique des zones aride et semi-aride

- les enjeux de l'eau : vers une science des systèmes complexes

L‘objet eau est un objet complexe qu'il faut aborder comme un système complexe, loin des approches sectorielles10. Structuré en plusieurs niveaux d'organisation et composé d'entités hétérogènes elles-mêmes complexes, l'objet eau recouvre aussi bien les systèmes naturels de l'écosphère que les systèmes artificiels construits par l'homme.

Plus particulièrement dans les zones arides et semi-arides, cet objet présente un grand nombre d'entités différenciées (hydrogéologie, climat, usages, gestion…) interagissant de manière complexe : interactions non-linéaires, boucles de rétroaction, mémoire des interactions passées…Ces interactions peuvent se conjuguer et présenter un comportement holistique qui rend vaine toute tentative d'explication par le seul comportement des parties.

L'ensemble des questions évoquées sera largement abordée lors de cette Conférence internationale qui se déroulera dans une des régions les plus désertiques d'Asie centrale où depuis des millénaires la maîtrise de l'eau est une réalité.

A l'image du Xinjiang, ces régions arides posent à la science un des grands défis du XXIème siècle : la gestion d'une ressource de plus en plus menacée.

« La nuit est descendue maintenant sur le désert, et la fleur rouge d'un feu s'est allumée au pied de notre montgne de blocs et d'éboulis. Le temps a fraichi, le vent s'est levé. Par une longue coulée de sable plaquée contre le relief, je vais, en quelques enjambées, être de retour dans la plaine où la conversation de mes compagnons viendra évoquer, j'en suis certain, d'autres mystères, d'autres problèmes, d'autres projets de recherche inlassablement ouverts au besoin de l'homme de découvrir et de comprendre » 11

Théodore Monod, Le Fer de Dieu, Arles, Actes Sud, 1997

Autre

«Similitudes…Le monde polaire, océans de glace et déserts de neige, compléterait la trilogie des espaces qui commandent le perpétuel mouvement, la navigation, le nomadisme, la fuite éternelle, quotidienne, à travers les cercles sans cesse renaissants et jamais franchis d'un horizon qui vous précède, semble parfois vous attendre, pour vous narguer, mais jamais ne se laisse attendre(…) A la fois plus précises encore et plus rares sont, au Sahara, les impressions des pays froids. La neige d'abord dans le sable de la dune (….) La sebkha, fond de lac salé desseché (…) prend des airs de banquise (…). Et des plages de regs ensablés, très fins mais légèrement consolidés en surface, se tassent sous le pas avec cette indéfinissable compression ouatée et crissante que le pied reconnaît pour celle de certaines neiges.» (extrait de Méharées)


Bibliographie

Jarry I., Théodore Monod,Paris, Payot/Voyageurs, 1990 L'anthropologue

Notes

1 « Le Désert ou l'Immatérialité de Dieu » écrit Lamartine…

2 pour ne citer que des exemples français

3 Oasis, point d'eau permanent où des nomades sédentarisés ont créé grâce à une parfaite maîtrise des eaux, un écosystème artificiel dédié à la polyculture, autour d'agglomérations, centre d'échanges commerciaux et véritables « ports » où « relâchent » les caravanes et les groupes nomades.

4 Antécédent du rally Dakar qui n'a plus la dimension scientifique

5 A l'initiative d'André Citroën

6 Jean-Claude Hureau, Le siècle de Théodore Monod, Paris, Muséum d'Histoire naturelle

7 La mortalité infantile dans ces zones atteint en moyenne 54 décès pour mille naissances d'enfants vivants, soit deux fois plus que dans les zones non arides et 10 fois plus que dans les pays développés.

8 Karl Wittfogel tentait de démontrer que l'Etat devait nécessairement émerger pour organiser l'irrigation

9 Voir « rés-EAU-ville » GDR 2524 CNRS, La mise en patrimoine de l'eau, Journée d'études, mars 2007

10 Réseau National Systèmes Complexes

11 Théodore Monod, Le Fer de Dieu, Arles, Actes Sud, 1997

Image
a
octobre 2006
Marie-Françoise COUREL
Directrice du Département des Sciences de l'Homme et de la Société, CNRS